Il y a une évolution historique de nos mentalités, l’individualisme rend notre rapport à l’autre encore plus douloureux. Nous ne le supportons plus, nous sommes devenus susceptibles. Nous voulons être reconnus, respectés, et que l’autre n’empiète pas sur notre territoire. Le for intérieur, l’intimité, le repli sur soi, la perte de l’espace public, l’intolérance à tout signe d’affrontement nous confrontent à l’émergence, chez ceux qui nous suivent, de tous les signes que nous croyions avoir éradiqués : la violence, la loi du plus fort, l’irrespect, l’incivilité […] Nous avons perdu le courage, nous ne savons plus nous confronter physiquement. Notre volonté de pacification nous fait éviter tout affrontement, nous préférons la bonté […]
On est parvenu à un tel respect de l’autre qu’on n’ose presque plus y toucher. Respecte-moi devient : “Prends-moi comme je suis”, “ne me demande rien”, “ne me bouscule pas”, “laisse-moi où je suis…”, “aime-moi, mais comme je suis”. Tu me dois le respect semble pour finir signifier : “Je suis suffisant et ma rencontre avec toi ne changera rien à ce que je suis.” Nous ressentirions comme violence tout ce qui n’entre pas dans notre monde… C’en est fini de la rencontre. Au fond, qu’est-ce qui nous permet de grandir, d’apprendre ? C’est bien d’être poussés, d’être “dévoyés”, d’être tirés hors de nous-mêmes, d’être séduits par ce que nous ne sommes pas. Or, un respect pris au pied de la lettre nous interdit de bousculer cet autre, de vouloir autre chose de lui ; nous tenons compte de son “je ne veux pas” émis en premier parce qu’il a peur, parce que l’effort demandé le tire de sa tranquillité. Dès lors, les gestes de la rencontre, les dispositifs proposés peuvent être ressentis comme des violences.
Certes, mais n’allons-nous pas “crever” de rester en nous-mêmes, respectés pour ce que nous sommes ?