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Les mythes Grecs : La naissance de la philosophie

TitreLes mythes Grecs : La naissance de la philosophie
Publication TypeBook
Année2013
AuthorsWismann, H
Number of Pagespp. 10 à 13
PublisherMAG : Philosophie Magazine - Hors série n°19
Mots-cléscosmogonie, cosmologie, désir de sagesse, mythe, mythologie, philosophia, sophia
Full Text

La philosophie naît avec les mythes et contre la mythologie. Sofia la sagesse contre philosophia le désir de sagesse. Et à la clé de cet affrontement entre l’autorité de la tradition et la soif d’inconnu, le passage du dualisme mythologique à la pensée, fulgurante, que tout est Un. (…) La mythologie vise à unifier les différentes chaînes causales et à dégager des puissances originaires, pour en faire des principes généraux d’explication. L’association du raisonnement du Logos et de la narration du Mythos conduit à la systématisation des mythes et à leur hiérarchisation.” (Wismann H. 2013 pp.10-13)

 

Extrait

La philosophie naît avec les mythes et contre la mythologie

  • La philosophie naît avec les mythes et contre la mythologie. Sofia la sagesse contre philosophia le désir de sagesse. Et à la clé de cet affrontement entre l’autorité de la tradition et la soif d’inconnu, le passage du dualisme mythologique à la pensée, fulgurante, que tout est Un. (…) La mythologie vise à unifier les différentes chaînes causales et à dégager des puissances originaires, pour en faire des principes généraux d’explication. L’association du raisonnement du Logos et de la narration du Mythos conduit à la systématisation des mythes et à leur hiérarchisation.

Comment naît la philosophie, comment s’articule-t-elle au monde des mythes ?

  • Pour répondre à cette question, il faut d’abord procéder à une double distinction. L’une concerne la différence entre les mythes et la mythologie. L’autre précise la nature du passage de la sophia à la philosophia. Commençons par les mythes. Ceux-ci décrivent le jeu des forces considérées comme divines ou cosmiques. Une puissance supérieure déclenche ainsi une action, laquelle, par un enchaînement causal, produit des effets jusque dans le monde humain. Qu’il s’agisse d’une tempête ou d’un tremblement de terre, d’une épidémie ou d’une récolte miraculeuse, d’un exploit guerrier ou d’un élan amoureux, les mythes construisent des chaînes de causalité qui - le point est important - ne sont pas reliées entre elles mais renvoient à un univers polyfocal, dans lequel on cherche, selon le phénomène observé, à identifier la puissance qui en est responsable. Face à la diversité, éventuellement conflictuelle, des forces en présence, les récits mythiques permettent de se repérer et de se placer, le cas échéant, sous la protection de celles qui paraissent les plus favorables.

Ce modèle généalogique est-il universel ?

  • Oui. La généalogie est la forme la plus ancienne d’argumentation mythologique. Elle se rencontre dans toutes les grandes civilisations. Les mythes y sont systématiquement mis en perspective à partir du couple masculin-féminin, qui sous-tend la différenciation généalogique des puissances divines. Essentiellement dualiste, la mythologie répond au postulat méthodologique d’une organisation binaire des différents niveaux d’intelligibilité. C’est ainsi qu’Hésiode rapporte les multiples filiations, du panthéon homérique à la rencontre initiale entre Ciel (Ouranos) et Terre (Gaïa), dont l’accouplement antagoniste, commandé par Désir (Éros), figure la lutte féconde entre les principes du Même et de l’Autre. Alors que Ciel, pour marquer le triomphe de l’identité, refuse de desserrer son étreinte, empêchant ses enfants de naître, Terre, pour défendre l’altérité réprimée, invente un stratagème qui permettra à sa progéniture de voir le jour. Au plus profond de ses entrailles, elle arme le bras de son fils aîné, Cronos, et lui donne l’ordre de châtrer son père, afin qu’il se retire, libérant ainsi l’espace dans lequel vont s’engouffrer les générations à venir. Or cette séparation primordiale, qui se rencontre dans la plupart des traditions mythologiques, est à la fois définitive et provisoire. En effet, devenu le nouveau maître de l’univers, Cronos, à qui Ciel avait prédit qu’il serait à son tour détrôné par l’un de ses fils, se met à dévorer ses enfants dès leur naissance…

Voilà pour la distinction entre mythe et mythologie ; qu’en est-il à présent de sophia et philosophia ?

  • La sophia, autrement dit la sagesse, tire son autorité de la tradition. Elle est transmise par des initiés, dont le prestige repose sur la connaissance des forces à l’œuvre dans l’univers. Les plus avertis d’entre eux s’inspirent de la mythologie, pour éclairer le destin des hommes à la lumière de la généalogie des dieux. De l’organisation de la Cité à la conduite de la vie privée, de l’art de la guerre à la discipline de l’éducation, de la quête du bonheur à la résistance au malheur, toutes les règles de sagesse découlent d’une expérience antérieure et s’imposent sans discussion ni examen préalable. Or, vers la fin du VII• siècle avant notre ère, dans les colonies grecques d’Asie mineure et d’Italie, commencent à s’élever des voix qui récusent l’autorité de ce savoir traditionnel. À la place de la sophia, héritée du passé, elles prônent la philosophia, tournée vers des découvertes à venir. Le terme, qui signifie “désir de sagesse, et marque ainsi l’ouverture sur l’inconnu, est le plus souvent attribué à Pythagore. Mais il résume parfaitement l’ambition de l’ensemble des premiers philosophes grecs, dits “présocratiques”, dont l’audace spéculative inaugure un nouvel âge de la pensée.

Comment la philosophie relaye-t-elle cette histoire léguée par la mythologie ?

  • En subordonnant, du moins à ses débuts, le principe d’altérité au principe d’identité. Dans les premiers systèmes métaphysiques, l’Un originel s’impose à travers ses altérations successives. Cela dit, des voix discordantes ne tarderont pas à se faire entendre, pour réclamer, au nom d’une Différence irréductible, l’approfondissement critique de l’ontologie dominante. C’est notamment le cas d’Anaximandre, d’Héraclite et de Démocrite, qui sont à bien des égards plus proches d’Hésiode que Thalès, Anaximène et Parménide. Mais avec eux commence une autre histoire.

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