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Cinq méditation sur la mort, autrement dit la vie

TitreCinq méditation sur la mort, autrement dit la vie
Publication TypeJournal Article
Année2009
AuthorsCheng, F
Mots-clésbeauté, mort, Vie
Full Text

L’univers n'était pas obligé d'être beau. On pourrait imaginer un univers uniquement fonctionnel, un système neutre qui se serait développé sans qu'aucune beauté soit venue l’effleurer. Un tel univers se contenterait de tourner à vide, de mettre en branle un ensemble d'éléments neutres, indifférenciés, ce mouvant indéfiniment. On aurait à faire là un monde de robots, à une sorte d'énorme machine ou un monde concentrationnaire, mais en tout état de cause, on ne serait plus dans l'ordre de la vie. Pour qu'il y ait vie, il faut qu'il y ait une différenciation des éléments cellulaires, complexification, et conséquemment formation de chaque être en sa singularité. La loi de la vie implique que chaque être constitue une unité organique et possède en même temps la capacité de croitre et de transmettre. C’est ainsi que la gigantesque aventure de la vie a abouti à chaque brins d'herbe, à chaque insecte, à chacun d'entre nous. Tout être, de par son unicité, tend vers la plénitude de sa présence au monde, à l'instar d'une fleur ou d'un arbre. Tels sont le commencement et la définition même de la beauté. (Cheng, F. 2013 pp. 78-79)

 

Mourir, c'est devenir : 

Ce qui s’oppose à la mort n’est pas la vie mais la naissance. Seul ce qui est née peut mourir. Pour l’homme, c’est la conscience de lui-même qui naît et meurt. Cette conscience n’est que l’autre en lui, ses liens déterminent sa réalité psychique. (Cf. La princesse Blanche de Rilke et Où cours-tu ? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi ? de Catherine Singer)

 

Humanité & Univers

  • “L’humanité se retrouve dans chaque individu, et chaque individu, s'il épouse la vie, prend part à l'aventure de l'humanité qui est partie intégrante d'une aventure bien plus : celle de l'univers vivant en devenir.” (Cheng, F. 2013 p.37)

 

La mort c’est la vie

  • “Incorporer la mort dans notre vision, c'est recevoir la vie comme un don d'une générosité sans prix.” (Cheng, F. 2013 p. 37)

 

Dans le journal d’Etoy Hillesum gazée à Auschwitz

  • “En disant : j'ai réglé mes comptes avec la vie, je veux dire que l'éventualité de la mort est intégrée à ma vie; car regarder la mort en face et l'accepter comme partie intégrante de la vie, c'est élargir cette vie. À l'inverse, sacrifiés dès maintenant à la mort un morceau de cette vie, par peur de la mort et refus de l'accepter, c'est le meilleur moyen de ne garder qu'un pauvre petit bout de la vie mutilée, méritant à peine le nom de vie. Cela semble un paradoxe : en excluant la mort de sa vie, on se prive d'une vie complète, et en l’y accueillant, on élargit et enrichit sa vie. » (Cheng, F. 2013 pp. 37-38)

 

L’instant n’est pas le présent

  • “L’instant n'est pas synonyme du présent : le présent n'est qu'un chaînon ordinaire dans l'ordre chronologique ; l'instant, lui, constitue un moment saillant dans le déroulement de notre existence, une haute vague au-dessus des remous du temps. (…) C'est une telle expérience privilégiée que traduit l'expression paradoxale : instant d'éternité. (…) L'éternité se trouve dans l'instant, se vit en l'instant, instant de rencontre où l'élan vers la vie et la promesse de celle-ci coïncide.” (Cheng, F. 2013 pp. 50-52)

 

Le vide - Lao-zi - Le livre de la Voie et de sa vertu chapitre 42

  • Le Tao d'origine engendre l’Un,
  • L’Un engendre le Deux
  • Le Deux engendrent le Trois
  • Le Trois engendre les Dix mille êtres
  • Les Dix mille êtres s’adossent au Yin
  • Et embrasse le Yang
  • Ils obtiennent l'harmonie par le vide médian.

 

  • “Ce passage s'interprète de la manière suivante : du Tao d'origine, conçue comme Vide suprême émane l’Un qu’est le Souffle primordial, lequel engendre à son tour les deux souffles complémentaires Yin et Yang ; ceux-ci, par leur incessante interaction, engendre tous les êtres qui parviennent à faire naître entre l'harmonie grâce au troisième souffle qu’est le Vide médian. À travers cette interprétation, on le voit, ce qui est affirmé, c'est la vertu du Rien, du Vide, étant donné que le Vide et la racine de la Voie, outre qu'il est la condition de l'harmonie dans la marche de la Voie. Prendre appui sur le Vide, c'est être dans le sens de la Voie, laquelle n'a de cesse d'effectuer ce mouvement qui va du Vide vers le Plein et retourne au Vide ou le Souffle primordial se ressource. La bonne circulation de la Voie qui relie tous les vivants est à ce prix. Ceux qui sont habités par cette vision épousent donc intimement ce mouvement éprouvent une vérité fondamentale : être, ce n'est pas simplement suivre l'écoulement d'une existence, c'est continuellement faire acte d'être, à partir du non-être. Dans l'idéal, ils expriment ainsi une sorte de “mort à soi”, un soi étroit et clos, et accèdent à une forme de vie plus libre, plus ouverte. (…) ils ne doutent pas que le souffle qui vient les animer, jaillit de la page blanche par le trait, ou de l'air vierge par le geste, est identique à celui qui meut les astres depuis l’Origine.” (Cheng, F. 2013 pp. 53-55)

 

Vie & Confiance

  • “La vie ne nous appartient pas, c'est nous qui lui appartenons. Elle est transcendante pour la simple raison que tout en palpitant au plus intime de nous, elle est infiniment au-dessus du au-delà de nous. Nous ne pouvons que nous en remettre elle en toute confiance. Et nous nous pouvons parce que l'expérience nous montre que le Souffle qui a fait advenir la Vie n'a jamais trahi, et qui ne trahira pas. Par ailleurs notre véritable lien avec les autres – lien d'amitié ou d'amour fondé lui aussi sur une confiance sans faille – n'est possible que dans la lumière de cette transcendance.” (Cheng, F. 2013 pp. 68-69)

 

Beauté 

  • “L’univers n'était pas obligé d'être beau. On pourrait imaginer un univers uniquement fonctionnel, un système neutre qui se serait développé sans qu'aucune beauté soit venue l’effleurer. Un tel univers se contenterait de tourner à vide, de mettre en branle un ensemble d'éléments neutres, indifférenciés, ce mouvant indéfiniment. On aurait à faire là un monde de robots, à une sorte d'énorme machine ou un monde concentrationnaire, mais en tout état de cause, on ne serait plus dans l'ordre de la vie. Pour qu'il y ait vie, il faut qu'il y ait une différenciation des éléments cellulaires, complexification, et conséquemment formation de chaque être en sa singularité. La loi de la vie implique que chaque être constitue une unité organique et possède en même temps la capacité de croitre et de transmettre. C’est ainsi que la gigantesque aventure de la vie a abouti à chaque brins d'herbe, à chaque insecte, à chacun d'entre nous. Tout être, de par son unicité, tend vers la plénitude de sa présence au monde, à l'instar d'une fleur ou d'un arbre. Tels sont le commencement et la définition même de la beauté.” (Cheng, F. 2013 pp. 78-79)
     
  • “L’univers est désirable et signifiant : grâce à elle, la nature s'impose à nous non en figures anonymes, mais comme une présence. Du coup, chacun de nous, tendant vers la beauté, voit son unicité transformée également en présence.” (Cheng, F. 2013 pp. 80)

 

Style de vie

  • “Un regard ardent, transparent, aimant et aimantant, un geste de sympathie, de générosité, de tendresse, de consolation, de sacrifices, en un mot de don, tout cela relève de cet ordre supérieur de la beauté du cœur et de l'âme qui a pour source la donation primordiale et pour expression l'amitié et l'amour. Quand ceux-ci, désintéressé, se haussent jusqu'à l'universel, il constitue la plus haute réalisation humaine. Car la donation rappelle l'avènement de la vie même, elle rejoint le beau geste originelle qui est d'inspiration divine.” (Cheng, F. 2013 pp. 81)

 

Il ne peut y avoir d'esthétique sans éthique

  • “Le degré suprême de la beauté et la grâce, mais par le mot grâce, on entend aussi la bonté. car la bonté suprême, c'est cette générosité d'un principe de vie qui se donne indéfiniment. c'est là le sens même de la grâce. (…) La bonté est garante de la qualité de la beauté ; la beauté, elle, irradie la bonté et la rend désirable.  (Cheng, F. 2013 p. 82)

 

Beauté - Mort - Création

  • “Attachement et arrachement, voilà la condition de la beauté : elle aiguise notre conscience de la mort. (…) Celui qui se propose d'affronter la beauté pour en faire une œuvre, à savoir l'artiste, affronte en même temps le défi de la mort. Cela est d'autant plus vrai que la création artistique est justement une des formes par lesquelles l'homme tente de vaincre son destin mortel. Toute œuvre digne de ce nom, un poème, une musique, une peinture, une sculpture, tente de transmuer la solitude en ouverture, la souffrance en communion, les cris d'appel enchantent, chant qui résonne par-delà les abîmes creusés par la séparation et la mort. (…) La beauté de la mort, c'est la présence. (…) Les morts sont les invisibles, mais ils ne sont pas les absents… » (Cheng, F. 2013 pp. 84-85)

 

Œuvre

  • “Toute œuvre d'art, en son état le plus élevé, résonance gramme à avec les autres êtres et avec l’Être. C'est la manière pour chaque créateur de dépasser l'espace-temps, de transcender la séparation et la mort. Il vise non la communication, mais la communion. (…) Combinant Vide et plein, alternant retrait et élan, un champ ininterrompu sourd de la terre, rejoint la grande rythmique du courant éternel qui meut les astres. Le rythme diffère de la cadence qui est une répétition du même, il est l'interaction des souffles vitaux dans toute sa complexité : avancée et reprise, reprise et nouvelle avancées, entrechoquement syncopé, entrecroisement harmonieux, mouvement en spiral changeant de registre et de dimension, entraînant transformation et transfiguration ou la mort a pour effet, (…) la délivrance des âmes captives.”  (Cheng, F. 2013 pp. 91)

 

Sacré - Mort - Humanité

  • “Lorsque est bannie toute notion de sacré, il est impossible à l'homme d'établir une vraie hiérarchie des valeurs. On peut tenter alors d'imposer de l'extérieur quelque règle, mais c'est en vain : l'âme ne laissait pousse pas foncièrement, car elles ne proviennent pas d'une vraie source de vie, ni ne sont alimentés par elle. (…) Car un monde sans sacré est un monde de chaos. C'est pourquoi il convient de réaffirmer le sacré fondamental, celui de la vie. Et du même coup, il convient d'affirmer qu’est sacré aussi la mort de chacun – la mort entendue, une fois encore, comme le fruit inaliénable de chaque destin. Nous avons failli oublier ce que les spécialistes de la Préhistoire nous ont enseigné, à savoir que l'attention portée au devenir de chaque mort caractérise les débuts de l'hominisation. Nous avons failli n'admirer Antigone que pour son acte courageux contre la raison d'État, en oubliant que si elle consent au sacrifice, c'est pour proclamer qu'une sépulture décente pour chacun procède d'une loi divine. Elle rappelle à Créon et à nous tous que le soin au corps mort relève d'une transcendance qui s'impose à toutes les lois humaines.” (Cheng, F. 2013 pp. 96-97)

 

Manques & l’Ouvert de Rilke

  • “L’Humanité, toutes les aspirations frustrées et tous les désirs inachevés creusent une infinie béance que seule l'éternité peut combler. Notre vérité n'est pas dans le nivellement et l'effacement, elle est dans la transmutation et la transfiguration. Nous n'aurons de vraie joie qu'en assumant douleurs et manques qui nous accablent, nous n'aurons de respect qu'en prenant à bras le corps les corps broyés par les blessures et les tourments. La vraie vie est à ce prix. (…) L’Ouvert : avec lui, la mort n'est plus seulement la preuve de l'absolu de la vie mais celle de l'absolu de l'amour. Avec lui, la mort change de nature et de dimension : elle devient l'ouverture par où passe l'infini souffle de la transfiguration.” (Cheng, F. 2013 pp. 123)

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