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Le grand fumeur et sa passion

TitreLe grand fumeur et sa passion
Publication TypeBook
Année2008
AuthorsLesourne, O
Edition1984
PublisherPUF
Mots-clésaddict, addiction, Angoisse, fumeur
Full Text

La cigarette permet aussi de revivre l’accession à l’autonomie : se donner à soi-même du plaisir, c’est congédier l’autre, celui qui jusque-là en était le seul pourvoyeur. C’est signifier qu’on n’a pas besoin de lui. En fumant, on conjure la perte, le deuil : je te perds, toi cigarette ; objet, je te détruis mais je te retrouve ; je peux quand je veux recommencer. La cigarette-mère (abandonneuse, frustrante) est détruite et perdue mais aussitôt retrouvée sous forme de sa semblable, la cigarette-pénis est détruite, “castrée”, mais reparaît aussitôt intacte.

Critique

  • L'introduction des concepts d'incorporation (pas de représentations) et d'introjection (représentation de l'autre) montre le processus ou phénomène en cause. Ce qui relie les addictions aux angoisses "pré-symbolique" de la prime enfance serait le faîte que les affects (sensations & ressentie) , comme la finitude, la mort, le néant, le vide, le rien, etc… (clinique Blank d'André Green) ne sont pas liés et sont dénués de représentations (émotions & sentiments). Nous serions en présence d'une forclusion, d'impasses existentialiste, de double bind, etc… suivant les auteurs et leurs lectures du monde. Globalement notre critique serait idem son ouvrage de 2004 sur le genèse des addictions (http://webjonction.fr/biblio/node/2789)

 

Préface

  • La cigarette est un moyen d’éponger symboliquement toutes les frustrations ou de tenter de le faire grâce aux très nombreuses facettes qu’elle offre : moyen de se donner du “bon” à l’intérieur en “tétant” un objet chaud et vivant, moyen de se sentir maître de soi-même en agissant sur un objet au lieu de rester passif dans la frustration (sortir la cigarette, l’allumer), moyen de se sentir puissant en manipulant le feu, alors qu’on se sent faible et impuissant, moyen d’exprimer de l’agressivité en dégageant des mauvaises odeurs et en laissant derrière soi des mégots, moyen de se sentir féminin en mimant la pénétration, ou masculin en se dotant d’un appendice phallique, moyen de montrer son mal-être et sa révolte intérieure.
  • La cigarette permet aussi de revivre l’accession à l’autonomie : se donner à soi-même du plaisir, c’est congédier l’autre, celui qui jusque-là en était le seul pourvoyeur. C’est signifier qu’on n’a pas besoin de lui. En fumant, on conjure la perte, le deuil : je te perds, toi cigarette ; objet, je te détruis mais je te retrouve ; je peux quand je veux recommencer. La cigarette-mère (abandonneuse, frustrante) est détruite et perdue mais aussitôt retrouvée sous forme de sa semblable, la cigarette-pénis est détruite, “castrée”, mais reparaît aussitôt intacte.
  • Tous ces aspects profonds et inconscients de l’acte tabagique sont encore présents et agissants. Mais une signification plus essentielle de la cigarette est certainement celle d’être un autre, semblable et différent, sur lequel on a tout pouvoir, pouvoir de vie et pouvoir de mort. Pouvoir d’en faire sa chose, de la maltraiter comme de s’en délecter. La cigarette vient à tout moment représenter l’autre dont on a besoin et qui vous échappe, l’autre qui vous maltraite alors que vous voudriez des consolations, l’autre qui veut vous asservir et dont vous refusez l’autorité. De toutes les manières, la cigarette vient en lieu et place d’un autre qu’on n’a pas pu intérioriser et qu’on continue à désirer ; l’autre éternellement défaillant et manquant. L’autre qui vous a remis au berceau alors qu’on aurait voulu rester dans son contact, son parfum, l’autre qui vous a grondé parce que vous n’aviez pas été propre ou que vous aviez fait des bêtises, l’autre qui vous a fait garçon alors qu’on aurait voulu être fille ou l’inverse, l’autre qui a des rapports privilégiés avec le père, ou avec la mère, l’autre tout-puissant qui sait et ordonne alors qu’on se sent tout petit et impuissant. Cet autre des premières années de la vie qu’on voudrait secrètement égaler, dominer... tuer.
  • En définitive, la cigarette est une manière de jouer avec la mort et de se jouer d’elle. En allumant une cigarette, on lui donne vie, mais en la fumant et en l’écrasant, on la tue. Le jeu de vie et de mort, qui n’est que symbolique au début, devient une réalité pour le grand fumeur qui risque la mort en voulant la défier. La mort, ce destin devant lequel chacun de nous est totalement impuissant.
  • Cette problématique de l’impuissance humaine […] fait que le petit humain naît dans l’impuissance et ne peut exister qu’avec l’aide d’un autre, toujours défaillant par rapport aux désirs de l’infans et animé de ses propres désirs inconscients, le tabagisme vient l’illustrer de façon éclatante.
  • Mais cet aspect du tabagisme ne suffit pas à comprendre psychanalytiquement le grand fumeur. Car, si la situation se résumait entièrement à ce qui est décrit, le grand fumeur serait en conflit avec lui-même et se battrait contre ses désirs inconscients en les dérivant d’une manière ou d’une autre sur d’autres ! symptômes. Or, même si cet addict est en effet très conflictuel et se sent coupable jusqu’à un certain point, il abandonne progressivement la culpabilité, tend à considérer son habitude comme une identité, un fait auquel on ne peut rien changer. Progressivement, la cigarette se désymbolise : elle n’est plus le sein, les faeces, le pénis, la mère, le père, l’autre ; elle est la cigarette, celle dont on ne peut se passer.
  • Ce qui conduit à penser que le grand fumeur présente non seulement un conflit névrotique, mais aussi un clivage du Moi : une partie de la réalité est déniée comme chez le Psychotique tandis que l’autre fonctionne normalement, c’est-à-dire en tenant compte des règles et des valeurs de la société. Ce qui est dénié chez le fumeur, c’est que son habitude le conduit à la mort : il ne veut pas le savoir tout en le sachant. (Lesourne, O. 2008 préface VIII-VIII)



Addiction du tabagisme

  • “Ce mode de traitement des difficultés dans l’enfance, qui consiste à faire comme si elles n’existaient pas, aurait eu pour conséquence de laisser toute la problématique en suspens, comme si le rapport à la représentation inconciliable était encore une affaire présente, comme si le sujet était encore en train d’éviter un deuil. Le caractère non lié de l’excitation - et donc l’angoisse latente - résulterait non d’un refoulement,” (Lesourne, O. 2008 p. 184)

Activité tabagique et sevrage

  • “Dans l’activité tabagique, il y a sûrement, pendant un temps, ce jeu entre deux registres. La cigarette devient une mère que l’on brûle, un objet tout-puissant dont on incorpore le pouvoir maléfique, un excrément avec lequel on empoisonne autrui, tout en restant un petit rien insignifiant. En somme, pour éviter l’angoisse liée à une émergence pulsionnelle dans le cadre d’une problématique qui n’a pas été élaborée, le fumeur fait comme s’il repartait au départ pour se donner une nouvelle chance d’élaboration. […] en cessant de fumer […] peut-être est-ce que le monde, la vie, a cessé d’être photogène, le submergement, l’angoisse, que devait empêcher l’allumage d’une cigarette n’ont pas eu lieu, le danger mortel s’est révélé une vaine peur.” (Lesourne, O. 2008 p. 185).

Deuil impossible : Incorporation opposée à l’introjection

  • L’incorporation d’un objet équivaut à la réalisation psychique d’un fantasme. Or, le fantasme reste une manière de poursuivre un désir face à une réalité qui imposerait d’y renoncer. ll est fils de la satisfaction hallucinatoire et implique, la non-reconnaissance de la perte, du manque.
  • Introjecter c’est, au contraire, accepter la perte et les remaniements topiques auxquels elle conduit. Le seul moyen est de remplacer l’objet non par son fantasme à proprement parler, mais par une dérivation métaphoro-métonymique (il est là et non-là, il est là avec sa perte en quelque sorte) ; l’objet doit être remplacé par des mots qui touchent la bouche comme l’objet, mais qui le métaphorisent. […] L’incorporation remplit la bouche vide d’un objet fantasmé, faute de pouvoir supporter le vide de la bouche, vide que ne peuvent que mal combler les mots.
    • “On voit bien que ce qui importe dans ces fantasmes ce n’est pas leur référence à un stade cannibalique, mais leur caractère annulatoire du langage figuré. L’incorporation implique la destruction fantasmatique de l’acte même par lequel la métaphore est possible : l’acte de mettre en mots le vide oral originel, l’acte d’introjecter.” (N. Abraham et M. Torok, Introjecter, incorporer, in Nouv. Rev. de Psychanalyse 1971, n° 18 p. 117)
  • […] L’idée essentielle que l’incorporation résulte de la perte d’un idéal rendant impossible le passage au symbolique. Le problème de cette perte est sans doute celui auquel est confronté le grand fumeur, sans qu’il puisse le résoudre d’une manière ou d’une autre.” (Lesourne, O. 2008 pp. 186-188)

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