Les modèles de l'évaluation: textes fondateurs avec commentaires

Citations

• "Deux courants en synergies et en tensions travaillent à assumer les paradoxes, les contradictions, les apories de la pratique évaluative. D'une part, une version de la complexité dans le modèle dialectique (post hégélien, contemporain) où on se doit d'identifier les oppositions irréductibles entre visées et programmes, entre paradigme du contrôle et paradigme de l'évaluation proprement dite, entre information et communication, entre explication et implication, puis de laisser faire le travail de la temporalité, dans l'inachèvement et l'évolution, l'opacité et la distance critique (Ardoino, Berger), pour déboucher sur un mieux-vivre avec la contradiction, et souvent en faisant émerger une autre contradiction qui appelle un autre cycle de travail. (…) L'accord entre ces deux modèles peut se faire, chemin faisant, dans l’évaluation comme problématisation du sens, dans la tension entre le sens donné, établi , comme réponse à mesurer, à vérifier avec des gabarits préétablis, et le sens élaboré, fondé ou trouvé ou à questionner, à interpréter, à chercher. (…) Tant il est devenu important de «changer notre façon de penser pour penser la complexité.

  L'évaluation est ici considérée comme rapports de sens, ruses de sens, comme gestion dans l'instant d'une rationalité limitée par des interrelations vivantes singulières, dans des dispositifs vécus, portés par des projets, dans la complexité des pratiques sociales.

  Donc, évaluer, c'est avoir et (faire vivre) des problématiques du sens qui puissent articuler les visées contraires du bilan et de l'accompagnement, de la vérification et de l'interprétation. Articuler, c'est-à-dire non seulement alterner les rôles aux significations opposées mais aussi passer d'une logique de fonctionnement à l'autre, faire tourner ensemble des forces opposées dans des approches du sens complémentaires, dans une intelligence de la Métis, brassant les produits, les procédures et les processus.

  Pour ce faire , il est indispensable de recommencer à chaque fois le deuil du projet de transformer l'autre : d'abord porter attention au désordre, à l'imprévu, revaloriser avant de vouloir faire changer, respecter la praxis des autres et leur puissance d'auto-organisation, d'auto-évaluation, d'auto-régulation. On s'y forme." pp. 354-355

• "Evaluer, ce n'est pas rechercher une voie médiane {médiocre) qui unifierait les contraires en les confondant dans une soupe religieuse, ritualisée pour l'harmonie, le consensus, le repos. La grande Unité est soit une fuite dans l'imaginaire, dans l'idéalisme, soit un travestissement du contrôle. Le projet d'une évaluation complexe accepte les oppositions et la négociation. Articuler les contraires n'est pas résoudre les contradictions dans une troisième voie: il n'est plus de bonne méthode, de bonne technique qui permettrait d'échapper aux contradictions. L'évaluation commence par le deuil des certitudes, et ce travail d'abandon de la vrai vérité du réel qui serait maîtrisable, deuil toujours à recommencer du projet d'être le maître, de la tentation étroite de vérification et de gestion avant tout." p. 356

• "Evaluer, c'est réguler. Car réguler, c'est articuler, c'est faire un va et vient, passer de l'un à l'autre, et vice versa, mettre en boucles, faire jouer. C'est assumer les problèmes en les problématisant, c'est transformer les contradictions en paradoxes fertiles ou en synthèses interrogatives. La régulation, c'est la composition et la mise en jeu d'un système, c'est un jeu complexe de régulations en interaction ; et c'est tout à fait majeur : une boucle de régulation ne peut se comprendre et se concevoir qu'en tant que pouvoir, en tant que jeu d'interactions avec d'autres régulations. En tension, car rien n'est plus étranger à la notion de repos que le concept de régulation." p. 355

• Bonniol, J.-J., & Vial, M. (1997). Les modèles de l'évaluation: textes fondateurs avec commentaires (2009 ed.): De Boeck. Postface pp. 351-358