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Les sociétés matriarcales. Recherches sur les cultures autochtones à travers le monde

TitreLes sociétés matriarcales. Recherches sur les cultures autochtones à travers le monde
Publication TypeBook
Année2020
AuthorsGoettner-Abendroth, H
Publisherdes femmes édtition Antoinette Fouque
URLhttps://webjonction.fr/article/node/601
Full Text

Pour commencer déconstruisons un a priori. Non le matriarcat n’est pas l’inverse du patriarcat où ce serait les femmes qui domineraient. Oui le matriarcat est bien l’inverse du patriarcat dans le sens où les formes sociales matriarcales tel décrites dans l’ouvrage cité sont égalitaires, collectives et pacifiques contrairement à celles du patriarcales qui sont présentées comme compétitives, individualistes et belliqueuses. Allons un peu plus loin...

    Réflexions inspirées par l’ouvrage et l'article de Télérama qui lui est dédié…

     

    • Heide Goettner-Abendroth. (2020). Les sociétés matriarcales. Recherches sur les cultures autochtones à travers le monde.  éd. des femmes, 600 p 25 €. Traduit de l’anglais par Camille Chaplain
    • Télérama n° 3651 le 1er janvier 2020. Les Sociétés matriarcales. Propos recueillis par Clara Delent

     

     

    Avant propos

    • Ce type de structure matriarcale ne serait-elle pas justement une réponse à la quête contemporaine de l’égalité des genres, de la fraternité de ses citoyens, du bonheur tant recherché dans les néostructure en quête d’autre chose autrement ? Après avoir lu les recherches sur les cultures autochtones à travers le monde de Heide Goettner-Abendroth sur les sociétés matriarcales (éd. DE 2008 - éd. FR 2020), il est étonnant de n’entendre aucun écho de ce travail monumental qui montre qu’une société égalitaire, collective et pacifique peut exister. Le mythe du patriarcat universel et du monothéisme ont la peau dur, niant ainsi les autres formes de structure ou projetant dessus leurs propres visions du monde. Allons un peu plus loin sur trois aspect évolutifs…
      • 1 - Regard évolutif et mutation du statut (Place - Fonction - Rôle) de la femme
      • 2 - Regard évolutif et sacralisation des forces vives en des dieux puis un Dieu
      • 3 - Regard évolutif et société contemporaine

       

    1 - Regard évolutif et mutation du statut (Place - Fonction - Rôle) de la femme

    • Dans son ouvrage, ce qui m’interpelle et me manque, c’est l’évolution temporelle ou historique (diachronique) de la place, fonction et rôle des femmes à travers l’histoire. Je vous propose de développer ce regard transversal. Nous pouvons constater au moins trois évolutions majeures suivant deux fonctions (Politique/Sacré).
       
    • Dans un premier temps, les sociétés archaïques matriarcales, souvent nommées païennes, les femmes ou les mères sont “sacrées”. Elles sont au centre du clan et elles sont à la fois représentante des deux fonctions (Politique/Sacré). La fonction politique se tient sous forme de débats collectifs, elles assurent la cohésion du clan, et la fonction religieuse se dévoile sous la forme de guérisseuse et de dialogue avec les esprits (ancêtres). Les premiers chamanes étaient féminins. Ces formes d’organisation sont dites païennes parce qu’elles privilégient les forces vives de Dame Nature (idem Avatar le film) sans édifier de substituts déistes (symbolisation). Dans un second temps, lorsque le clan devient cité, les femmes perdent la fonction politique mais elles conservent le sacré et le dialogue avec les dieux : les prêtresses et les pythies. Puis dans un troisième temps, avec l’avènement du monothéisme et lorsque les cités deviennent nation, les deux fonctions politique et sacré reviennent aux mains des hommes. Que deviennent ces femmes… (chasse aux hérétiques)

    2 - Regard évolutif et sacralisation des forces vives en des dieux puis en un Dieu

    • Nous pouvons constater de même que les femmes perdent leurs fonctions d’origines en même temps que le clan évolue de la cité à la nation, que parallèlement la personnification des forces vives de Dame Nature change. Nous passons des esprits à des représentations de ceux-ci. Pour commencer par le polythéisme (plusieurs déifications) ou chaque force vive à une icône tutélaire : en Grèce Zeus pour la foudre, Athena pour la force et la guerre, Possédions pour la mer et les tempêtes, etc. Puis dans un troisième temps nous passons au monothéisme d’un Dieu unique souverain et souvent  masculin.

    3 - Regard évolutif et société contemporaine

    • Cette inversion entre les femmes et les hommes des fonctions du politique puis du religieux ; ce changement des organisations du clan à la cité puis à la nation, et cette transformation du sacré des forces vives de Dame Nature au polythéisme puis au monothéisme, nous interroge.
       
    • Lorsque la société se complexifie en nombre, lorsque l’humain, par souci d’objectivation rationnelle (dogme du scientisme) s’éloigne de ce qui l’a créé (Dame Nature) ; lorsque les sujets en oublient leur origine sacrée (et non religieuse), cette origine qui les dépasse depuis la nuit des temps et qu’ils ne pourront jamais maîtriser ; alors, la plupart de ces sociétés ont évolué du matriarcat vers le patriarcat ; d’une structure où les formes sociales égalitaires, collectives et pacifiques ont souvent laissées la place aux structures compétitives, individualistes et belliqueuses. D’un système organiciste et pacifiste (atomique et halocratique) nous passons à un système mécaniciste et guerrier (pyramidale et hiérarchique).
       
    • Actuellement c’est la chasse à la discrimination du genre et de tout ce qui est genré, mais aplanir totalement nos différences dut à nos singularités biologiques et psychiques, ce serait nier ce qui nous met en mouvement, ce qui nous distingue et nos valeurs référentes dans chacune de ces organisations sociales quelle soit matriarcale ou patriarcale.
       
    • Que cela déplaise à la mode du non-genrer prenons le meilleur de chacune de ces cultures et la question serait automatiquement genrée : “Si les femmes, ne cherchant pas à singer les hommes, développent leurs singularités alors qu’elle forme impulseraient-elles aux organisations, à leurs politiques et au sacré ?” Réponse de Heide Goettner-Abendroth : “Pour sortir des structures patriarcales mortifères, il ne s’agit pas d’imiter les matriarcats traditionnels mais d’en inventer de nouveaux.” Alors zou au travail…

     

    Article de télérama n° 3651 le 1er janvier 2020

    • Pour ne pas oublier ce travail sur : Les Sociétés matriarcales. Recherches sur les cultures autochtones à travers le monde, de Heide Goettner-Abendroth, traduit de l’anglais par Camille Chaplain, éd. des femmes, 600 p„ 25 €.

    Matriarcat, avenir de l’homme

    • Universel, le patriarcat ? À Sumatra ou en Chine existent des sociétés organisées autour des mères, où aucun sexe n’a le pouvoir. Un modèle, pour la philosophe Heide Goettner-Abendroth. À 78 ans, Heide Goettner-Abendroth fait figure de référence : dès les années 1980, cette philosophe allemande a révélé l’existence de sociétés matriarcales, jusqu’alors réfutée par les sciences sociales occidentales. Quarante ans de recherches l’ont amenée à rencontrer les Mosuo du sud-ouest de la Chine, les Kuna de Colombie, les Ashanti d’Afrique de l’Ouest, et quelques autres, parmi les vingt dernières sociétés de ce type existant encore à ce jour. Sa découverte lui a surtout permis d’exhumer les traces de leur longue histoire, et d’écorner le mythe du patriarcat universel. La somme de son travail nous parvient désormais grâce à la traduction de son ouvrage pionnier, Les Sociétés matriarcales. Recherches sur les cultures autochtones à travers le monde. Pas moins renversant que lors de sa parution en anglais en 2008, l’imposant opus (600 pages) nous laisse entrevoir l’existence de formes sociales inédites, profondément égalitaires et pacifiques. Bien loin de la mondialisation, de la colonisation et de l’impérialisme patriarcaux. Une brèche, aux allures de gouffre, dans un modèle prétendument universel.
       
    • Pourquoi des sociétés aussi ancestrales que les matriarcats, dont vous faites remonter l’apparition à la préhistoire, n’ont-elles pas été étudiées avant les années 1980 ?
      • Parce que, jusqu’alors, les ethnologues et les anthropologues en ignoraient l’existence ! S’ils ne les avaient pas identifiés c’est qu’à leurs yeux les matriarcats devaient ressembler à des miroirs inversés du patriarcat : des sociétés où les femmes auraient dominé, à la façon des hommes dans les patriarcats. Or, on ne trouve rien de tel dans le monde. Ce qui existe, ce sont des sociétés égalitaires, organisés autour des mères. Les chercheurs ne les définissaient pas comme matriarcales, parce qu’ils étaient pétris de préjugés, alors que certaines de ces sociétés se qualifiaient déjà ainsi.
    • S’ils ne sont pas des patriarcats inversés, à quoi ressemaient donc les matriarcats ?
      • Ce sont des sociétés où hommes et femmes vivent dans une parfaite égalité et coopèrent. Il n’est pas question qu’un sexe prenne l’ascendant sur l’autre. Chacun a son propre champ d’action, qui varie d’une société à l’autre. Chez les Mosuo, en Chine, les femmes s’occupent de l’agriculture pendant que les hommes s’affairent au commerce. Chez les Juchitèques mexicains, les hommes travaillent dans les champs tandis que les femmes se chargent des échanges commerciaux intérieurs et extérieurs. La maternité est centrale et ses valeurs sont adoptées par tous : l’éducation, le soin et la recherche de paix régissent la vie sociale. Chez les Minangkabau du Sumatra occidental (la population matriarcale la plus importante à ce jour, avec trois millions de personnes), il existe un adage : “Si un homme veut être respecté, il doit se comporter comme une bonne mère.” Il est impensable que quiconque se retrouve livré à lui-même ou en situation de pauvreté. C’est étonnant pour nous, qui vivons selon d’autres valeurs, dans des sociétés où règne un stress social généré par une compétition permanente. La hiérarchie ou l’oppression n’existent pas dans les matriarcats. Cela ne signifie pas que leurs membres vivent dans la paix éternelle, mais ils la recherchent de façon constante.
    • Comment sont organisés les matriarcats ?
      • On y observe une économie de partage et de distribution, plutôt que d’accumulation. Chacun reçoit la même part, et ceux qui obtiennent un peu plus partagent avec les autres. Le principe d’héritage passe par la mère - matrilinéarité -, et non par le père. La vie s’organise en clan, dans la maison maternelle - matrilocalité. Politiquement, les décisions ne sont pas prises par des dirigeants, qu’ils soient masculins ou féminins, mais par consensus. Sur le plan culturel, le souci des autres, l’attention qui leur est accordée s’étend sur l’ensemble de la de la planète : il ne viendrait pas à l’esprit de ces peuples d’abîmer leur environnement, car ils savent qu’ils ne survivraient pas à cette destruction. Lorsqu’une société réunit l’ensemble de ces caractéristiques, c’est un matriarcat. À ce jour, on en dénombre vingt sur l’ensemble des continents, hormis l’Europe, ce qui est bien peu, comparé au passé. Il est difficile d’estimer le nombre de personnes que cela représente.
    • Ces similitudes indiquent-elles que les matriarcats ont une origine commune ?
      • Ce ne sont que des bases ; la façon dont chaque peuple applique ces structures varie. Mon hypothèse est qu’à l’époque néolithique l’agriculture, la vie sédentaire et l’organisation matrilinéaire ont été inventées par les femmes, ce qui a entraîné des similarités dans le mode de vie. Mais elles ne proviennent pas tant d’une origine commune que de conditions de vie similaires.
    • Le matriarcat a-t-il précédé le patriarcat
      • Tout à fait ! L’histoire du patriarcat est plus récente et plus courte. Les premières structures matriarcales ont été observées autour de 13 000 avant notre ère, alors que le premier exemple d’un patriarcat abouti date de 2 400 avant J.-C. en Europe.
    • L’histoire de l’humanité serait donc celle d’une progressive patriarcalisation…
      • Les époques paléolithique et néolithique étaient matriarcales. Comment se fait-il que depuis des foyers très restreints les patriarcats aient pu finalement se propager dans le monde entier ? J’entame des recherches archéologiques afin d’essayer de le comprendre. A priori, ces structures se sont développées à partir des agissements de petits groupes de personnes. Ce sont des sociétés où hommes et femmes vivent dans une parfaite égalité et coopèrent. Il n’est pas question qu’un sexe prenne l’ascendant sur l’autre. Chacun a son propre champ d’action, qui varie d’une société à l’autre. Chez les Mosuo, en Chine, les femmes s’occupent de l’agriculture pendant que les hommes s’affairent au commerce. Chez les Juchitèques mexicains, les hommes travaillent dans les champs tandis que les femmes se chargent des échanges commerciaux intérieurs et extérieurs. En Asie de l’Ouest et en Europe, des peuples agricoles ont longtemps vécu selon une organisation matriarcale. Mais autour de 4 000 avant J.-C., une crise climatique majeure a peu à peu transformé les terres fertiles des steppes eurasiennes en déserts. Les peuples se sont alors tournés vers l’élevage. Et, à mesure que les terres s’épuisaient et que les conflits s’intensifiaient pour en conquérir de nouvelles, une culture guerrière s’est développée. Les habitants de Mongolie ont commencé à migrer : ils ont quitté les steppes devenues inexploitables et sont arrivés par hordes en Europe du Sud-Est. Autour de 3 000 av. J.-C., ils étaient installés à travers tout le continent. Progressivement, ils ont assujetti les peuples matriarcaux européens qui vivaient là avant eux. Ils ont pris de force les femmes autochtones. Ce qui avait commencé comme une gestion de crise a finalement perduré, sans doute parce que les chefs ont pris goût à cette nouvelle forme de société. C’est ainsi que sur plusieurs siècles l’Europe s’est patriarcalisée.
    • Le patriarcat est-il nécessairement impérial et colonial ?
      • Oui, puisqu’il naît de la violence des uns à l’encontre des autres. Les membres du patriarcat se sont battus pour obtenir des pâturages pour leurs troupeaux, aux dépens des sociétés matriarcales agricoles, égalitaires et… non belliqueuses. Ils ont développé l’idée que la violence est formidable, puisqu’elle permet de soumettre des peuples entiers ! Cette idée survit de nos jours. Quand les nations veulent devenir des superpuissances, elles utilisent la violence. C’est ainsi que la plupart des matriarcats ont été démolis. Des sociétés qui favorisent la paix peuvent aisément être conquises par la violence.
    • La patriarcalisation menace-t-elle aujourd’hui les derniers peuples matriarcaux ?
      • La situation est extrêmement critique. Face à l’industrialisation, la mondialisation et la colonisation patriarcales, les peuples sont repoussés à la marge. Aux siècles précédents, ils pouvaient encore trouver des régions reculées où s’installer. Mais aujourd’hui le patriarcat moderne est partout. Les Mosuo, dans le sud de la Chine, risquent de perdre leurs moyens de subsistance à cause de la déforestation, et de perdre leur culture à cause du tourisme de masse 1. Tous les peuples se battent pour conserver leurs structures, mais ils sont en danger.
    • À vous lire, il n’existerait pas de violence à l’encontre des femmes et des enfants dans les sociétés matriarcales ?
      • Les peuples matriarcaux méprisent la violence autant que nous la glorifions. Chez eux, aucun homme n’aurait l’idée de violer une femme. Chacun prend part au processus de maternité, dans un respect mutuel. Les féminicides, les infanticides, les mutilations génitales n’existent pas. Il n’y a pas d’exploitation entre les individus - ni entre les hommes et les femmes, ni entre les plus âgés et les plus jeunes. Les enfants sont d’ailleurs considérés comme des êtres sacrés, parce qu’en eux se réincarnent les ancêtres disparus.
    • Quelles solutions aux maux endémiques de nos sociétés pouvons-nous emprunter aux matriarcats ?
      • Pour sortir des structures patriarcales mortifères, il ne s’agit pas d’imiter les matriarcats traditionnels mais d’en inventer de nouveaux. Nous devons fonder des communautés qui ne reposent plus sur les liens du sang, mais sur des relations d’affinités, choisies. Des communautés de femmes, avant tout, pourraient créer des projets innovants. Les mouvements féministes l’ont déjà fait, mais faute de moyens, leurs réalisations n’ont pas duré. Il est donc primordial que les femmes récupèrent des pans entiers de l’économie, aujourd’hui presque entièrement aux mains des hommes. Je suis convaincue que si les États leur confiaient la moitié de leurs ressources, la société changerait du tout au tout, aussi bien en matière d’éducation que d’écologie, de soins… Ce n’est pas totalement utopique. Pensez aux écologistes, aux luttes féministes ou anticolonialistes : ces courants de pensée alternatifs existent déjà et promeuvent sans le savoir des idées matriarcales. Il leur reste à trouver un point de jonction entre eux. Le matriarcat articule toutes ces idées, et pourrait demain permettre de rassembler celles et ceux qui les défendent. Soit énormément de monde. En tout cas assez pour constituer un vrai contre-pouvoir face au patriarcat.
        • Propos recueillis par Clara Delente pour Télérama

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