Pourquoi l’amour fait mal ? Pourquoi fait-il autant souffrir ? Violence, douleur et souffrance sont souvent au rendez-vous des relations humaines. Ces trois termes sont souvent confondus ou bien l’un est pris pour l’autre. Pourquoi en ce XXIe siècle souffrons-nous autant de nos liens d’amour ? Avant son livre de 2017 “Happycratie” (Illouz, 2017) sur les marchands de bonheur de la psychologie positive du développement personnel, l’ouvrage de 2012 d’Eva Illouz, “Pourquoi l’amour fait mal” (Illouz, 2012), nous permet de développer ci-dessous quelques idées forces de son écrit.
1 - Violence - Douleur - Souffrance
- Nous posons que la vie n’existe pas sans une violence fondamentale (Bergeret, 2010). Naître, être puis disparaître, ne se fait pas sans effort, sans contraintes et ainsi sans une forme de violence. Apprendre à marcher, à parler, à calculer… pour nous tous cela ne s'est pas fait dans l'aisance, mais dans un dépassement de soi : "se faire violence". Refuser cette dernière, se serait refuser la vie pour ce qu’elle donne et offre de “bon” comme de “mauvais”. Chez l’humain, cela se ressent dans la négation des ravages du temps, vieillir ; cela s’écoute dans notre propre rapport à notre finitude, la mort ; cela se voit et se remarque dans ce besoin compulsif de se remplir, de combler son manque, d’être. Cette vie, avec sa violence fondamentale, n’est pas l’inverse de la mort. La vie est une danse comprenant à la fois tout ce qui naît puis meurt (Rilke & Regnaut, 1904). L’opposé de notre finitude est bien notre naissance, la vie, elle continue avec ou sans nous : qu'elle violence... Cette violence fondamentale n'est pas à confondre avec l'agressivité.
- Puis vient la douleur et la souffrance. Lorsque la douleur est un phénomène physiologique dans l’ici et maintenant de notre corps, alors la souffrance est un phénomène psychique lié au temps : passé & futur. A cette question "Pourquoi l'amour fait mal ?" la souffrance en serait son expression mais laquelle ?
- La souffrance liée au passé s’attache à un désir fondé sur un manque "d'objet". Puisque nous sommes des êtres conscient, notre Moi vit toujours à travers le filtre de ses souvenirs, de ses croyances, de ses savoirs et ainsi il a des attentes. Notre imagination crée des images, des idées, des représentations qui soutiennent ces attentes. Ces attentes vont bâtir à leur tour un désir fondé sur un manque, avec pour corollaire une sensation de vide. L’expression de la souffrance liée au passé témoigne de ce vide d’un manque d’objet du désir.
- La souffrance liée au futur se rattache à un désir fondé sur le non-sens ou le manque de sens. L’absence de sens en est son fondement : “je ne comprends pas pourquoi je souffre autant…”. Le fait qu’une souffrance n’a pas d’origine clair ou précise. Ce qui nous fait souffrir ce serait l’irruption de l’irrationnel dans notre vie. Sans signification, cette souffrance liée au futur est intenable pour le sujet. L’expression de la souffrance liée au futur témoigne d’un autre vide, mais celui d’un manque de sens.
- La souffrance liée au passé s’attache à un désir fondé sur un manque "d'objet". Puisque nous sommes des êtres conscient, notre Moi vit toujours à travers le filtre de ses souvenirs, de ses croyances, de ses savoirs et ainsi il a des attentes. Notre imagination crée des images, des idées, des représentations qui soutiennent ces attentes. Ces attentes vont bâtir à leur tour un désir fondé sur un manque, avec pour corollaire une sensation de vide. L’expression de la souffrance liée au passé témoigne de ce vide d’un manque d’objet du désir.
- Dans ces deux cas de figures de la souffrance psychique liée au temps, l’absence de quelque chose est en jeu : soit lié à la mémoire de nos souvenirs (rétrospectif), soit lié au non-sens (prospectif). Cette souffrance liée au temps serait la menace comme expression d’un mal-être. Cette menace toucherait l’intégrité du sujet par un sentiment de vide, de néant (Moi-vide / Moi-plein). Dans ces deux cas de figure du manque lié au temps (passé / futur), ce serait la valeur interne du Moi qui serait touché et vacillerait de ses bases (valeurs > croyances > savoirs) : "j'existe par et à travers toi…"
2 - Souffrance d’amour & Intégrité du Moi
- Dans son livre, l'auteur de "Pourquoi l'amour fait mal" soulève les “souffrances d’amour contemporaines” ou des liens (Affect / Raison) qui nous unissent à l’autre. Ce type de souffrance serait l’expression actuelle d’une société où l’individu se définit et se bâtit essentiellement sur des liens sexués et non des liens asexués. Depuis le début du XXe siècle, la sexualité, sa place, son rôle et son émancipation ont redéfini l’individualité comme le résultat de son histoire psychique sexuée (relations aux parents et/ou figures d'attachement). Cette histoire se développerait autour des théories de la sexualité infantile et la théorie d’objet. Notre essence psychique serait ainsi tributaire de ces théories. Par la suite, l’a priori perdure qu’un sujet sain serait un sujet dont la vie sexuelle serait épanouie !… Est-ce un besoin fondamental ?
- La sexualité, tout comme l'amour objectivé et réduit à des phénomènes biologiques et psychologiques (raison sans affect), deviendrait ainsi un élément constitutif de l’intégrité du Moi du sujet. La sexualité naturalisée et normée en théorie sexuelle conditionnant l’élaboration de notre psyché constituerait un signifiant clé de notre identité personnelle oscillant entre deux pôles contradictoires de forme du désir (Reconnaissance-Dépendance / Autonomie-Liberté). Est-ce uniquement cela et est-ce universelle ? La joie d’amour de Robert Mishrahi (Misrahi, 2014) développe bien autre chose de plus ouvert (article suivant ci-dessous).
3 - Amour, sexe et réalité
- En quête de sa propre réalité, l’amour a-sexualisé (Agapé) ou sexualisé (Eros) de notre article suivant ci-dessous (Amour - Désir - Joie) devient pour le sujet le lien social incontournable de sa réalité : sa reconnaissance sociale comme sujet. L’échec ou la réussite de ses liens d’amour impacteraient directement l’intégrité de son identité moïque.
- Amour, sexe et réalité, pourrait être le titre d’une série rose ou à l’eau de rose. La souffrance des acteurs développerait leurs "mal-a-dits" par des douleurs sans fin et le tout arrosé d’un soupçons ou zeste de violences relationnelles afin de pimenter le tout… Et l’industrie de la consommation ainsi que certains professionnels prophètes du développement personnel en profiteraient un maximum pour en faire une affaire très lucrative et vous rendre dépendant de tout cela : “Vous manquez de confiance en vous… Votre image est impactée… Retrouver votre enfant intérieur…” etc.
- Mais fort heureusement, d’autres pistes existent pour non pas nous définir, mais pour élaborer notre individualité hors de ses cadres univoques et limitants sexués : "La jouissance d'être, le sujet et son désir" de R. Misrahi (1996). Il y a donc un espoir…
4 - Article suivant : Amour - Désir - Joie
Bibliographie
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Bergeret, J. (2010). La violence fondamentale : l’inépuisable œdipe. Dunod.
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Illouz, E. (2012). Pourquoi l’amour fait mal. L'expérience amoureuse: L’expérience amoureuse dans la modernité. Le Seuil.
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Illouz, E. (2017). HAPPYCRATIE, méfions-nous des vendeurs de bonheur ! Livre et vidéo
Youtube. https://www.youtube.com/watch?time_continue=95&v=MMMBlWzAJAw -
Misrahi, R. (1996). La jouissance d’être : le sujet et son désir. encre marine.
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Misrahi, R. (2014). La Joie d’amour. Pour une érotique du bonheur. Autrement.
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Rilke, R. M., & Regnaut, M. (1904). La princesse blanche. (Edit. 1987) Actes Sud - Théâtre de la ville.
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