F1 - L’espace et l’objet, c’est substitué au temps et au changement
- Pour Bergson notre rapport au temps serait la clé nous permettant de vivre le mouvement du changement. Dans son ouvrage “La pensée et le mouvant” de 1934 sous formes d’essais et de conférences, il pointe le faîte que tout ce qui se rapporte au temps comme "durée" a été réduit à son "étendue" comme espace :
- “Tout le long de l’histoire de la philosophie, temps et espace sont mis au même rang et traités comme choses du même genre. On étudie alors l’espace, on en détermine la nature et la fonction, puis on transporte au temps les conclusions obtenues. La théorie de l’espace et celle du temps se font ainsi pendant. Pour passer de l’une à l’autre, il a suffi de changer un mot : on a remplacé “juxtaposition” par “succession”. De la durée réelle on s’est détourné systématiquement. Pourquoi ? […] En examinant les doctrines, il nous sembla que le langage avait joué ici un grand rôle. La durée s’exprime toujours en étendue. Les termes qui désignent le temps sont empruntés à la langue de l’espace. Quand nous évoquons le temps, c’est l’espace qui répond à l’appel. […] Notre action ne s’exerce commodément que sur des points fixes ; c’est donc la fixité que notre intelligence recherche ; elle se demande où le mobile est, où le mobile sera, où le mobile passe. Même si elle note le moment du passage, même si elle paraît s’intéresser alors à la durée, elle se borne, par là, à constater la simultanéité de deux arrêts virtuels […] qui le dessine comme une série de positions” (Bergson H 1934 p. 1271-1272)
F2 - Le changement est un flux et non une différence d’état
- Pour des raisons pratiques nous avons mis en place une conception et une relation objet dû au langage. Autrement dit avec les mots nous remplaçons le phénomène du changement comme processus de la "durée" par un changement d’état de l’objet observé de "l'étendue". Dans une thérapie ce serait la mise en avant du changement d’état du patient et non le “Playing and Réality” de Winnicott permettant de reconstruire le réel de son histoire. Nous sommes passés d’une relation de milieu à une relation d’objet. De cette relation de milieu du "temps-durée" avec ses interactions processuelles du changement, nous l'avons substitué par une relation d'objet et d'états de notre "espace-étendue". Le langage en témoigne :
- “Nous en dirons autant du changement. L’entendement le décompose en états successifs et distincts, censés êtres invariables. Considère-t-on de plus près chacun de ces états, s’aperçoit-on qu’il varie, demande-t-on comment il pourrait durer s’il ne changeait pas ? Vite l’entendement le remplace par une série d’états plus courts, qui se décomposeront à leur tour s’il le faut, et ainsi de suite indéfiniment. Comment pourtant ne pas voir que l’essence de la durée est de couler, et que du stable accolé à du stable ne fera jamais rien qui dure ? Ce qui est réel, ce ne sont pas les “états”, simples instantanés pris par nous, encore une fois, le long du changement ; c’est au contraire le flux, c’est la continuité de transition, c’est le changement lui-même. Ce changement est indivisible, il est même substantiel.” (Bergson H 1934 p. 1272)
F3 - Relation de milieu-flux (durée du temps) ou relation d’objet-état (étendue de l'espace)
- Par cette approche, nous pouvons percevoir une première confusion très courante et commune : vous voulez changer, mais ce qui peut changer dans un premier temps, ce n’est pas soi comme objet et état (interne et/ou externe), ce qui change, c’est le faîte de laisser le flux nous traverser et à ce moment-là l’objet et son état changeront aussi. En ce sens ce qui prime avant tout serait la qualité de la relation de situation et de milieu (entre patient-client et le contexte) et non la quantité mesurable du rapport entre deux états différents de Soi. Le préalable est le contexte du processus comme flux. En cela l’artiste voit plus loin et plus large. Il va favoriser le perceptuel et l'implicatif (Mythos) sur le conceptuel et l'explicatif (Logos) :
- “Pourquoi, étant plus détaché de la réalité, arrive-t-il (les artistes) à y voir plus de choses ? On ne le comprendrait pas, si la vision que nous avons ordinairement des objets extérieurs et de nous-mêmes n’était une vision que notre attachement à la réalité, notre besoin de vivre et d’agir, nous a amenée à rétrécir et à vider. De fait, il serait aisé de montrer que, plus nous sommes préoccupés de vivre, moins nous sommes enclins à contempler, et que les nécessités de l’action tendent à limiter le champ de la vision.” (Bergson H 1934 p. 1372)
L’approche du changement et du temps de Bergson complète les idées précédentes où le changement est toujours présent, la transformation est une loi qui régit l’univers : Est-ce le flux du vivant de Spinoza, son conatus ? En complément des propositions précédentes, pour Bergson ce qui nous affecterait en plus de notre façon de pensée le monde, serait le conditionnement dû au langage où la relation d’objet-états de l’espace-étendue se substitue à la relation de milieu-flux du temps-durée. Cet oxymore, associant ou alliant ces deux mots de sens incompatibles (Espace/Temps), réduirait ainsi notre champ de perception et d’imprégnation du flux et de la mouvance.
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- Bergson H (1934) La pensée et le mouvant dans œuvres complètes. Arvensa Editions (http://arvensa.com)
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