D - ICs et Cs… des processus

 

D1 - Inconscient comme processus et inconscient comme conteneur

  • Il y a l’inconscient princeps, celui des philosophes, des scientifiques qui est un processus actif dans l’ici et maintenant s’exprimant de par la structure biologique ou matière ; ces approches sont ontologiques. D’un autre côté, nous avons des approches psycho généalogiques de l’inconscient de la psychanalyse. Les faits psychiques latents et les faits psychiques refoulés sont eux des produits fabriqués comme données stockées dans la mémoire comme conséquence. D’un côté nous avons des processus d’action et de l’autre nous avons des conteneurs (complexes) comme résultats composés de traces mémorielles. Qu’est-ce donc réellement cet inconscient, un processus ou une mémoire inaccessible ?
     
  • Pour discerner ces inconscients, nous proposons de chercher l’étymologie des mots. Nous avons deux axes, soit celui des substantifs comme nom des processus ou soit celui des adjectifs qualificatifs d’une trace mémorielle.
    • Le substantif conscient provient du latin (fin XIIe) “conscientia” lui-même composé du préfixe con- (avec) et de scientia (connaissance). C’est l’action de connaître et ainsi d’être en relation. La conscience serait un processus actif comme verbe d’action permettant d’élaborer des savoirs. L’inconscience ou “inconscientia” d’ignorance serait l’absence de relation et/ou de ces savoirs. Pour la conscience sont en scène trois éléments : l’observateur conscient de lui-même, ce qui est observé et le savoir résultant de l’observation. Il y a une distance, un espace entre ces trois éléments : observateur - observation - observé.
       
    • L’idée d’inconscience dénote de l’absence de cette distance et du savoir résultant. Les phénomènes qui interviennent sont la distanciation (observateur/observé) impliquant une relation et le rapport au savoir comme contenu de la mémoire. L’inconscience serait un processus d’unification temporel, lorsque la conscience serait un processus de distanciation temporel. L’un, la conscience, se déploierait dans le temps différé de la mémoire comme espace entre un passé et un futur (diachronie) quand l’autre, l’inconscience prendrait racine dans le temps de l’instant ou de l’immédiateté du présent (synchronie).
       
    • Quant aux adjectifs conscient et inconscient, ils ne font que spécifier si les souvenirs référés sont connus ou inconnu comme critère de valeurs lorsque les processus ou phénomènes sont en œuvre. Ces souvenirs sont les faits psychiques refoulés et latents inconscients, de même pour l’inconscient collectif de Jung. Ceux-ci ne sont pas des processus tel que le décrivent les auteurs cités ou tel l’étymologie des mots le montre. Ils sont tous les trois des conteneurs organisateurs de complexe de savoirs non accessibles directement. Ils sont les caves ou les greniers oubliés de notre maison. Ils ne sont pas des processus mais des données, des résultats ou produits fabriqués ICs ou Cs.
  • Nous pouvons induire que conscient et inconscient sont tout deux des processus actifs. Seule nuance, comme l’a très bien perçu Freud, le conscient est lié au temps comme espace mémoriel entre deux temps (passé-futur) et ainsi dépendant des savoirs de la mémoire (diachronie). Alors que l’inconscient est a-temporel et éternellement dans le présent (synchronie). Sur ce dernier point de l’atemporalité, tous les auteurs se rencontrent psychanalyste, philosophe et scientifique.

 

 

D2 - Conscience et inconscience, un processus en commun

  • Pour l’inconscience nous sommes agit par des forces et des savoirs inaccessibles à notre conscience individuelle, alors que pour la conscience, elle se réfère toujours à une mémoire connue à nos expériences. Ainsi l’inconscience comme ignorance ne peut-être ni latent ni refoulé puisque il est un processus actif agissant. Ce qui est latent ou refoulé ce sont les faits psychiques, les contenus ou les savoirs que ces processus utilisent comme support. Le tout est de comprendre sur quoi vont s’appuyer ces processus comme phénomènes :
    • données latentes et/ou refoulées personnelles (théorie sexuelle infantile)
    • données collectives et culturelles (inconscient collectif de Jung, inter-générationnalité)
    • données héritées (épigénétique, trans-générationnalité)
    • données des impératifs bio-physio-logiques comme volonté de puissance d’être (plénum)
       
  • Pour sortir de ce dilemme entre processus et conteneurs de savoirs organisés en complexe, prenons la piste de WR Bion (Beillerot, Blanchard-Laville, & Mosconi, 1996, pp. 23-31). Héritier de l’école kleinienne pour qui l’inconscient est à la fois un processus et un conteneur des faits psychiques refoulés, WR Bion a proposé deux concepts clés. Ils sont le concept de “machine à penser” et l’initiale “C” pour la connaissance comme processus actif reliant les ambivalences psychiques (Amour/Haine) > (A/C/H).
     
  • Dans cette formule les deux résultats (A/H) sont reliés par un processus “C”. Ce processus se polarise en “C+” pour la progression et l’actualisation des données et “C-” pour la non-opérationnalisation dénotant de la capacité d’apprentissage entravé du sujet. Ici nous sommes très proches des conceptions des auteurs cités ou le processus est princeps et exprime le désir d’être qui influencera ensuite les contenues comme nouveau faits psychiques Cs ou ICs.

 

 

D3 - Processus inconscient & Conteneurs refoulés

  • Les faits psychiques refoulés sont des données devenues inaccessibles à la conscience. Cette conscience a vécu des événements comme expériences et le processus de la connaissance est le générateur de ces savoirs et non l’inverse : “Les savoirs aident celui qui les possède à donner du sens au monde, ils ne s’imposent pas pour autant aux autres. À vrai dire, un savoir n’a que le sens qu’on lui donne. […] Un savoir a un sens, cela ne signifie pas qu’il produit du sens. Un savoir ne produit rien.” (Eliade, 1967). Les conteneurs des faits psychiques latents et refoulés sont des savoirs inconscients. Ils sont générés par les processus et sont réactualisés ou non par eux-mêmes, d’où cette idée de polarisation de “C” de WR Bion. La psychopathologie serait due à la polarisation en “C-” du processus. Aucune actualisation des données est active, seul un retour en boucles aux faits psychiques refoulés inconscients ou aux savoirs conscients acquis comme trophée serait à l’œuvre. D’où la nécessité pour certain sujet de réaliser non pas seulement un travail sur l’origine de leurs donnés refoulés qui parlent via leur inconscient, mais aussi un travail de re-symbolisation de celles-ci. Nous sommes aussi l’histoire que nous nous racontons et auxquels nous adhérons. En l’éclairant différemment, réécrivons celle-ci… pour cela, le contexte psychanalytique ou thérapeutique ouvre cet espace de transitionnalité et de symbolisation de réécriture.
     
  • Ne plus amalgamer le processus nommé “PCs-Cs”, “ICs” ou “C” et les faits psychiques comme données (traces) permet de dissocier le processus actif “C” (agir & penser) et les contenues référées (savoirs Cs & ICs). Pour favoriser la symbolisation, il est nécessaire de stimuler l’imaginaire fécondant et moteur du processus “C+” de l’agir et du penser des acteurs en relation au réel d’un contexte. Quant à l’imaginaire leurrant invoquant le processus “C-”, celui-ci reste en boucle sur des données inconscientes comme les faits traumatiques (compulsions de répétition) et les faits psychiques refoulés (complexes et angoisses), sur lesquelles la psychopathologie s’appuie. La dialectique du temps, (Temps de l’immédiateté/Temps différé comme espace) développé sur les deux axes (Synchronie/Diachronie), met en scène sur la synchronie les processus et sur la diachronie les savoirs conscients comme inconscients et le sens fabriqué.
     
  • André Green fait le constat que si la psychanalyse, c’est focalisé sur la diachronie, elle a par contre délaissé l’axe des processus du “C” de WR Bion et du ICs/PCs-Cs de Freud : “Les processus liés au temps sont ceux qui échappent à l’observation, et la plupart d’entre eux doivent être déduits rétrospectivement. Pourquoi ? Parce qu’ils ont lieu intrapsychiquement, réorganisant les résultats de la perception, des affects, des fantasmes, des souhaits, etc. C’est sur ce soubassement que le transfert a lieu […] Les gens n’ont pas lu l’article de Freud sur les souvenirs-écrans… tout y est ! L’idée d’un concept linéaire de temps est la plus trompeuse qui soit ; ce n’est pas un hasard si l’on a beaucoup écrit sur l’espace mais rien sur le temps.” (Cupa & Pirlot, 2012, p. 211).
     
  • Ainsi, Freud avait déjà perçu que le temps linéaire du modèle de pensée sémite permet certes d’expliquer certains phénomènes (logos) mais en aucun cas ne permet de rendre actif les processus. Pour qu’ils le soient, il nous faut changer de paradigme et utiliser le modèle de pensée indo-européen qui d’écrit le temps d’une façon cyclique (Mythos). Utilisé par Nietzsche, par la Gestalt-Thérapie et les méthodes dites processuelles, ce type de modèle de pensée cosmologique ou atomiste est justement ce qui a libéré l’homme de ses entraves de la toute-puissance.