- 1 - Oral - Nourisson, petite enfance

 

STADE ORAL

Les 18 premiers mois sont d’une importance capitale pour l'enfant. Les intérêts du nourrisson sont en nombre limité, toujours centrés sur la zone orale et les soins alimentaires. C’est la phase orale. Les plaisirs et les tensions du nourrisson sont liés en grande partie aux insatisfactions et aux besoins oraux et digestifs. Durant cette période le sentiment de plaisir est lié à l’absorption alimentaire, mais aussi au fonctionnement de la seule zone orale et aux premiers fantasmes qui commencent à accompagner celui-ci. Durant les premières semaines, il n’existe pas pour l’enfant de distinction claire entre le sujet et le monde extérieur. Il n’existe qu’une alternance d’états de tensions et de bien-être. Moi et objet ne sont pas encore clairement différenciés. La genèse de la relation objectale est progressive. Plusieurs auteurs ont abordé cette phase selon des points de vue différents.

 

R.A. Spitz (1887-1974)

  • Il a privilégié l’étude des phases précoces du développement de l’enfant. Il a tenté de théoriser l’établissement de la relation objectale à partir d’un stade pré-objectal (sans objet, où il n’y a pas de séparation entre pulsion et objet et pas d’activité psychique spécifique) jusqu’à un stade de l’objet libidinal proprement dit, où l’objet externe est reconnu comme différent de soi et investi pulsionnellement en passant par le stade précurseur de l’objet.
     
  • R.A. Spitz introduit la notion issue de l’embryologie d’“organisateur”. Il indique par là qu’il existe des processus psychiques fonctionnant en profondeur, non directement observables mais repérables en surface sous la forme d’indicateurs. Il distingue trois indicateurs et trois étapes :
    • le sourire au visage humain, apparaissant habituellement vers 2 à 3 mois, qui témoigne que le bébé investit et reconnaît une forme humaine en entrant en interaction avec lui et provoquant sa réponse (Gestalt) ;
       
    • l’angoisse de l’étranger du 8e mois qui correspond à l’installation intrapsychique de la représentation mentale de la mère et de sa différenciation avec un étranger ;
       
    • l’apparition du non vers le 18e mois qui signe l’accession à une totale distinction d’avec la mère.

 

M. Klein (1882-1960)

  • Elle a tenté d’élaborer une conception théorique du développement précoce de l’enfant à partir de l’analyse de la vie fantasmatique d’enfants et de certaines angoisses d’enfants psychotiques en traitement. Elle prête à l’enfant une vie mentale très précoce. Elle distingue :
    • une position dite schizo-paranoïde où l’enfant n’a pas de relation avec les personnes en tant que telles, mais seulement avec des objets partiels (seins). L’enfant vivrait alors dans un monde clivé. L’agressivité serait projetée sur le sein maternel lequel deviendrait le sein persécuteur (mauvais objet) qui semblerait menacer l’enfant. La libido serait également projetée sur un objet extérieur, pour créer un objet idéal, le bon sein ;
       
    • une position dite dépressive qui succéderait à la première au cours du deuxième semestre. L’enfant, par intégration des bons et mauvais objets, parviendrait à la représentation d’un objet total et à la reconnaissance de la mère comme personne totale. L’angoisse persécutrice de la phase précédente est remplacée par une angoisse entièrement centrée sur la crainte que ces pulsions destructives pourraient détruire l’objet qu’il aime et dont il se sent totalement dépendant. La phase dépressive détermine pour M. Klein une phase charnière du développement de l’enfant, où celui-ci atteint une capacité d’élaboration de la perte et de la séparation.

 

M. Malher (1897-1985)

  • Elle s’est proposé de décrire, dans une perspective génétique, le processus de séparation/individuation de l’enfant par rapport à sa mère. Selon elle :
    • l’enfant part d’une phase autistique normale dont l’existence est actuellement contestée.
       
    • il passe ensuite par une phase symbiotique vers 2 à 12 mois où le bébé et la mère se vivent comme distincts l’un de l’autre, mais à l’intérieur d’une enveloppe commune donnant au bébé l’illusion de toute-puissance.
       
    • il aboutit enfin à une phase de séparation/individuation de 8 mois à 3 ans par rupture de l’unité symbiotique et par l’éclosion, hors de cette sphère, de l’enfant qui investit des appareils autonomes du self et du moi tels que la locomotion, la perception et les apprentissages. Elle insiste sur le processus de séparation/individuation et aussi sur le fait qu’il existe, dans ces processus d’individuation, des moments de régression marqués par la crainte de l’enfant de perdre son objet libidinal interne.

 

S. Freud (1895-1982)

  • Il a développé le concept de ligne de développement qui tient compte à la fois des critères métapsychologiques, mais aussi des différentes tâches auxquelles est confronté l’enfant. Ces lignes de développement se définissent comme des types d’activités qui se poursuivent tout au long des années et évoluent selon des modalités assez régulières d’une étape à l’autre avec, à chaque étape, un nouvel équilibre pulsionnel et structurel. À l’ontogenèse des fonctions métapsychologiques se substitue une ontogenèse des conduites concrètes de l’enfant dans leurs rapports avec les données métapsychologiques.
     
  • A. Freud distingue ainsi six grands axes d’activité de l’enfant, développés dans un continuum d’action :
    • de la dépendance à l’autonomie,
    • de l’allaitement à l’alimentation rationnelle,
    • de l’incontinence au contrôle sphinctérien,
    • de l’insouciance aux soins du corps,
    • de l’égocentrisme à l’altruisme et
    • du jeu au travail.
  • Cette théorie du développement a l’intérêt de juger la qualité du développement sur l’observation des tâches réelles en rapport avec l’environnement et non sur la seule maturation des fonctions métapsychologiques et des pulsions. Elle souligne également la relativité de la notion d’harmonie du développement et introduit la notion de dysharmonie entre les structures de développement qui n’évoluent pas toutes de façon uniforme. La normalité ne tient pas à l’homogénéité mais, au contraire, à la diversité des progrès. A. Freud substitue à la notion de régression pulsionnelle celle de régression partielle sur telle ou telle ligne du développement. Ainsi certains symptômes peuvent-ils apparaître comme des particularités régressives le long d’un axe de développement semblant satisfaisant dans son ensemble. Cette approche a remis en question l’appréciation des critères du normal et du pathologique dans le développement et permis d’étudier les conduites concrètes en même temps que les dynamiques psychiques inconscientes.

 

D.W. Winnicott (1896-1971)

  • Psychanalyste anglais de formation pédiatrique, il occupent une place originale dans la psychanalyse infantile. Ces conceptions théoriques, qui échappent à tout enfermement dogmatique, reflètent une vision du développement nourrie par la pratique clinique des consultations avec les jeunes enfants et leurs mères. Partant des observations sur le lien de dépendance du nouveauné, Winnicott considère qu’au début de la vie, un nouveau-né ne peut pas exister sans sa mère et sans les soins qu’elle lui apporte. Le potentiel inné de l’enfant ne peut s’exprimer que grâce aux soins de la mère. Cela implique que la mère centre, durant les premières semaines de la vie de l’enfant, tous ses investissements sur le bébé auquel elle s’identifie complètement. Cette condition psychique que D.W. Winnicott appelle préoccupation maternelle primaire et qui ressemble à une véritable “maladie normale” permet à la mère de répondre et de s’adapter à tous les besoins de son enfant avec une sensibilité extrême. Cette attitude de la mère qui se développe pendant la grossesse permet à l’enfant de faire l’expérience d’une continuité rassurante et d’investir son soi sans danger. À travers la fonction de miroir que la mère offre à son enfant dans les échanges relationnels, une distinction soi/non soi s’amorce. Plus tard, la mère sort de la condition psychique de préoccupation maternelle primaire. Elle accepte progressivement de ne pas être totalement gratifiante pour devenir une mère "suffisamment bonne", c’est-à-dire une mère qui présente des manques occasionnels jamais plus grands que ceux que l’enfant est en mesure de supporter.
     
  • Holding, handling et object presenting.
    D.W. Winnicott différencie dans la fonction maternelle trois rôles qu’il définit en anglais sous les termes :

     

    • Holding > Contenance physique et psychique
      Il fait référence au portage de l’enfant sur le plan physique, mais également sur le plan psychique. Il s’agit d’un soutien et d’un maintien de l’enfant inclus au début dans le fonctionnement psychique de la mère. C’est une contenance physique et psychique qui permet l’établissement d’un sentiment d’unité de soi.
       
    • Handling > Lier son vécu corporel à son vécu psychique
      Il renvoie aux manipulations du corps et aux différents soins apportés par la mère (le changer, le laver, le toucher). Cette fonction a pour effet de permettre à l’enfant de lier son vécu corporel à son vécu psychique et elle participe ainsi à la structuration du fonctionnement mental.
       
    • L’object presenting > Mettre à la disposition de l’enfant les objets au moment opportun
      Il fait référence à la capacité de la mère de mettre à la disposition de l’enfant les objets au moment opportun. Ce n’est ni trop tôt, ce qui enlèverait à l’enfant la possibilité de faire l’expérience du besoin, puis du désir et représenterait une irruption contre laquelle il devrait se protéger en développant un faux self. Ce n’est pas non plus trop tard, ce qui conduirait l’enfant à supprimer son désir et à se soumettre passivement à l’environnement pour se protéger du besoin et de la colère. Par une présentation au moment opportun, l’enfant peut éprouver un sentiment de toute-puissance en ayant l’impression d’avoir lui-même créé l’objet de son désir.
       
  • Mère suffisamment bonne
    Elle est la mère ajustée à l’enfant dans le respect de leurs altérités respectives. L’enfant développe alors un sentiment de toute-puissance qui transforme un environnement suffisamment bon en un environnement qu’il considère parfait. Cela lui permet d’intégrer la psyché à son corps dans une unité somatopsychique, base d’un soi authentique. Parallèlement, devant les frustrations inévitables dues aux carences de la mère, l’enfant éprouve une désillusion limitée qui lui est nécessaire et à laquelle il s’adapte à travers le développement des phénomènes transitionnels. Les phénomènes transitionnels sont capitaux. C’est d’abord le choix par l’enfant d’un objet transitionnel entre 4 mois et 1 an.
       
  • Objet et air transitionnelle > Imaginaire - Créativité - Toute-Puissance > Soi
    À cette période, les enfants élisent un objet type peluche, mouchoir, pour sa douceur et pour ce qu’il leur renvoie de ses liens affectifs et sensoriels à sa mère. Cet objet, qui n’est ni totalement interne, ni totalement externe, appartient au monde de la réalité, mais également à l’univers personnel de l’enfant. Il accompagne le développement de l’enfant, lui permettant de gérer les séparations et de renforcer son sentiment de soi. Plus globalement, une aire transitionnelle se construit progressivement comme un lieu où l’imaginaire de l’enfant peut se développer autour d’un sentiment de toute-puissance nécessaire et où la créativité de l’enfant peut s’exprimer.
     
  • Espace de jeu
    Le jeu participe de cette dynamique. Pour D.W. Winnicott, le jeu est un moteur irremplaçable du développement de l’enfant, car il lui apporte à la fois un espace pour assouvir sa curiosité dans une dimension sublimatoire et un lieu d’autonomisation progressive valorisé par ses parents où la socialisation intervient rapidement.
     

D. Stern

  • Une place particulière est occupée également plus récemment par D. Stern qui, avec une méthodologie de recherche fondée sur l’observation directe de l’enfant, a définitivement montré le caractère décisif des interactions précoces du nouveau-né avec son entourage au sein de la dyade mère-enfant, de la triade avec le père et de la dyade père-enfant. À travers le développement des séquences comportementales réciproques qui s’organisent dans les premiers mois de vie, se crée ce que D. Stern appelle l’accordage affectif ou syntonisation affective. Le nouveau-né et ses parents fondent leur comportement dans une “danse interactive”, complexes échanges réciproques et rythmés qui permettent de communiquer les états affectifs. Cet accordage s’accompagne d’un plaisir partagé entre la maman et l’enfant à la base de toute autre relation partagée. Ces compétences interactives participent au développement du lien d’attachement entre la mère et le bébé. Cela permet à ce dernier d’utiliser la relation comme moyen de régulation de ses états physiologiques, psychologiques et affectifs et de construire un sens de soi plus solide. Il peut utiliser sa mère comme base sécure d’où il peut se déployer. Dans la théorisation de l'auteur, la notion de self devient centrale comme organisateur du développement et également l’étude des modalités interactives de transmission des états mentaux dans tous leurs aspects comportementaux, affectifs, fantasmatiques.