C - Maître Eckhart, le pré-psychanalyste

Le besoin doit devenir la porte du désir. Désirer l’autre, c’est renoncé à en faire l’objet de ses besoins. Aimer, c’est vouloir l’autre pour lui-même, c’est renoncé à l’asservir pour le servir. (Maître Eckhart).

 

C1 - Démarche pré-psychanalytique

  • Les notions de besoin et de désir sont deux clés importantes de la psychanalyse. Le besoin fait appel à la jouissance et à l’immédiateté. Le désir signe l’avènement du différé et d’un monde intérieur chez le sujet. Nous ne pouvons pas désirer le non connu. Il y a deux formes du désir qui s'opposent : le désir-regret de Platon et de la psychanalyse et le désir-souhait du philosophe Spinoza (lien : les désirs). Dans le désir-regret, nous désirons l’absence de ce qui a été un objet de plaisir, de jouissance de ce qui nous a été offert, il nous manque. Alors que dans le désir-souhait, c'est la présence rayonnante du désir de l'autre, de l'aimé, comme expression de la vie qui nous vient à nous manquer. Dans ce dernier, c'est le désir du désir souvent de "la mère" qui provoque le manque. Lorsque le désir-regret de la psychanalyse nait d'un manque (approche de Platon), la proposition s'inverse pour Spinoza, c'est le désir-souhait qui engendre le manque. Lorsque le désir-regret est rétrospectif, alors le désir-souhait est lui prospectif. Quelque soit la forme du désir, cela signe ainsi la relation et la présence des sujets qui se constituent : “le manque de l’autre en nous-même”. Désirer ce serait faire l’éloge au vivant, de ce qui nous élabore nous-même comme motion, pulsion puis impulsion.

    • “Il n’y a rien que l’on désire autant que vivre. Qu’est-ce que vivre ? C’est être mû de l’intérieur, par sa propre impulsion. Ce qui est mû de l’extérieur ne vit pas… Nous pouvons et nous devons œuvrer par nos propres forces, de l’intérieur.” (Maître Eckhart)

C2 - Retour à la source

  • Pour Maître Eckhart, il semblerait que ce désir de l’origine, de l’Unique du Un ou de Dieu est le processus d’indifférenciation et d’indistinction (observateur / observé) qui fonde l’humanité, le sacré et la mystique. C’est en quelque sorte, un vague à l’âme de l’origine. Que celle-ci soit considérée comme une Totalité Vitale comme concept d’un grand Tout (hologramme et plenum de la théorie quantique, continuum de conscience du bouddhisme, inconscient collectif de Jung, etc.), ou du UN d’un absolu avec un dieu unique (panthéisme et monothéisme), ou encore de l’être primordial d’une âme transcendantale (cf. article : Maternologie).
      

C3 - Penser : ( Quoi penser / Comment penser )

  • Pour Maître Eckhart, ce qui compterait avant toutes autres formes d’expérience, ce serait celle de pensée par soi-même, le “Comment penser” de la parole du Christ (Carrère E. 2014) et non le “Quoi penser” dogmatique des religions instituées. En ce sens, pour Emmanuel Carrère (Le royaume), les paroles du Christ rapportées par ses apôtres témoignent et dénotent de cette façon singulière de parler et de provoquer l’auto-questionnement pour cette époque où le dogmatisme et la morale régnaient :

    • "Ce qui est nouveau pour lui (Luc), mais alors totalement nouveau, c’est la voix, le phrasé, qui ne ressemble à rien de ce qu’il connaît. […] C’est aussi cette façon particulière de ne pas dire : “Faites ceci, ne faites pas cela", mais plutôt : “Si vous faites ceci, il arrivera cela”. Ce ne sont pas des prescriptions morales mais des lois de la vie. […] il y a une énorme différence entre dire : “Ne fais pas à un autre ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse” […] et dire : “Ce que tu fais à un autre, tu te le fais à toi-même”, “ce que tu dis d’un autre, tu le dis de toi-même.” (Carrère E. 2014 pp. 425-426)

C4 - Désirer & Penser

  • De même, cette phrase de Caillois, dans “Œuvres complètes de Spinoza”, illustre admirablement le courant de pensée de Maître Eckhart :

    • “Le désir est l’essence de l’homme, c’est-à-dire l’effort par lequel l’homme s’efforce de persévérer dans son être. […] La liberté n’est pas le résultat de la pensée, mais l’exercice même de penser.” (Œuvres complètes de Spinoza, 1954, p. XXXIV)
  • Winnicott dans "Playing & Réality" ne parlait que de cela :

    • “Jouer, c’est se créer” ou comme il le formule “Jouer, c’est faire” (Winnicott, D. W. 1975. p. 90)
    • Winnicott à propos d'une patiente :“C’est quand elle cherche qu’elle existe plutôt que lorsqu’elle trouve ou est trouvée. […] Puis la patiente : “Je voudrais m’arrêter de chercher et seulement Être. Oui, le fait de rechercher prouve qu’il y a un soi […] Oui, je vois, on pourrait postuler l’existence d’un Moi à partir de la question…” . (Winnicott, D. W. 1975 p. 126).

C5 - Ouvrir le débat

Un sage indien parle du Samsara et du Nirvana : "le Samsara, c’est le monde fait de changements, de désirs et de tourments dans lequel nous vivons. Le Nirvana, celui auquel accède l’éveillé : délivrance, béatitude. Mais, dit le sage indien, celui qui fait une différence entre le Samsara et le Nirvana, c’est qu’il est dans le Samsara. Celui qui n’en fait plus, il est dans le Nirvana." (Carrère E. 2014, p. 597)