A - Dialectique du Moi-peau Moi-pensant

 

A1 - Les plus… du Moi-peau

  • L’approche d’Anzieu à cela de remarquable. D’une part elle répond à un besoin de représentation de l’irreprésentable (angoisse ?). C’est ici à la fois sa force et sa très grande limite. D’autre part, il fait le tour de force de relier avec son concept du Moi-peau le somatique (peau) à une partie de la psyché (Moi) tous deux des produits fabriqués (le poïesis d’Aristote) et dans un autre ouvrage le Moi-pensant, il développe le processus de penser (la praxis d’Aristote). Il instaure un pont entre trois univers souvent séparés par les disciplines : la peau ou aspect de l’enveloppe physique, le Moi ou un des aspects de l’enveloppe psychique et le penser ou aspect dynamique et processuel.
     
  • S’il y a une reconnaissance, c’est bien celle d’un désir de multi-référentiallité (Ardoino) de son travail entre des univers épars. Il ne fut pas le premier, dès 1950 et formalisé en 1970, Fritz Perls et Paul Goodman le firent via la Gestalt-thérapie de relier soma et psyché et le penser.

 

A2 - Les moins… du Moi-peau

  • D’un autre côté, s’il y a une réfutation, c’est bien celle de vouloir schématiser et simplifier la complexité en Moi-peau et Moi-pensant en ayant comme dénominateur commun le Moi, comme centre et pont entre Peau-Pensant. J’y vois un premier contresens, les deux contenants peau (physique) et Moi (comme une partie de la psyché) sont reliés par le processus penser et non le Moi. J’ai eu tout au long de cet ouvrage l’impression désagréable ou plutôt le sentiment diffus du principe du chausse-pied. C’est-à-dire vouloir absolument faire rentrer des concepts dans une chaussure trop étroite (enveloppe) : métaphore des sœurs envieuses de cendrillon. Par transposition, dans ce cas-là, ce serait la chaussure de Freud.
     
  • Ce sentiment, je l’ai déjà éprouvé dans son approche de la mythologie grecque avec la psychanalyse. Anzieu pense pouvoir y découvrir des clés universelles en faisant tout rentrer dans le moule (enveloppe) de la serrure Œdipienne. Comme le formulent les spécialistes de ce domaine Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet, figures incontournables, “Cette clé ouvre-t-elle vraiment les portes de l’univers spirituel des Grecs ? Ou en fausse-t-elle les serrures ?” En suivant les pas de Freud, Anzieu réitère la même erreur ; ils parlent à côté du sens porté par les mythes de cette époque. Cela n’enlève aucun crédit acquis à la congruité des concepts de la psychanalyse, juste le fait de restituer la pertinence séparée de chacun d’eux recontextualisé. Ce besoin d’assise historique (enveloppe) n’est pas nouveau. Ce phénomène de volonté de vouloir absolument faire rentrer des concepts dans une chaussure trop étroite est courant. Je le retrouve dans certaines démarches de recherche dure purement théorico-déductive et leurs statistiques universalisantes et objectivantes. Une personne très avisée un jour m’a formulé que “les statistiques c’est comme les strings, cela cache toujours l’essentiel”. En tant que psychanalyste et professeur émérite de psychologie à l’université, Anzieu aurait dû opter pour la posture opposée : la recherche clinique empirico-inductive.