5 - Addiction & Réflexion

 

Double contraintes psychiques

  • Mis à part les traditionnelles addictions (tabac, alcool, stupéfiants, etc.) et les addictions contemporaines (smartphone, écrans divers, séries, télé, male-bouf, etc.), les addictions dénotent toutes d’une double contrainte psychique interne au sujet :
     
    • La première serait celle d’une fragilité identitaire des sujets en peine d’eux-mêmes ou en boucle d’un Moi idéal perdu ou en errance du à la qualité du miroir de l’autre comme reflet de ses affects et désirs déniés. Ce miroir, comme figure d’attachement, serait déformant et projective (Alice Miller), soit comme figure absente, soit comme figure dépressive, soit comme figure morte (André Green) ou soit comme figure projective en demande de réparation d’elle même. Celle-ci pointe chez l’enfant l’époque des 8-30 mois du mythe de Narcisse (pré-Œdipe pour les kleiniens et lacaniens) nommé la clinique Blank (vide) ou Blanche par André Green. La dépression et la honte en est son corollaire.
       
    • La seconde serait celle d’une suridéalisation dû à "l’idéal du Moi" comme super-héros de la précellence. Ce serait comme celui de prendre de la cocaïne pour être au top de ses capacités de réalisations et d’inspirations. Celle-ci pointe chez l’enfant l’époque des 3-7 ans du mythe d’Œdipe nommé la clinique Rouge par André Green. La grandiosité sous forme de mégalomanie du besoin de réussite et de perfection en serait sa conséquence visible.
       
  • Dans les deux cas de figure, le Moi comme tension résultante entre les instances pulsionnelles et les contraintes (Ça-Surmoi) est supplanté par deux illusions : le phantasme du "Moi idéal" de la puissance d’être non reflété par l’autre et le fantasme de "l’idéal du Moi" de la précellence et de l’excellence reflété par soi-même. Ainsi beaucoup de mes consultés ont cette problématique d’avoir comme régulateur ces deux derniers avec un Moi fragilisé, fêlé ou clivé (Odile Lesourne) ou rikiki. Notre travail de thérapeute serait de leur permettre de le restaurer (si écrasé) ou de l’élaborer (si absent).

 

La question de base : l'être sujet souffre d'être

  • Mais, mis à part tout cela, ce qui m’interpelle le plus, ma pulsion épistémophilique à moi, et que la tragédie de la Grèce ancienne mettait en scène, c’est que ce Moi est lui aussi une addiction récurrente, une répétitivité récursive “prétendue” non délétère elle. Ce serait la base de celui qui dit “JE” par double retournement de la pulsion (André Green : Narcissisme de vie & narcissisme de mort). Ce serait alors notre addiction princeps ou primordiale : "Moi c'est Moi et pas touche à mon Moi…"
     
  • Deux cheminements possibles du Moi : répéter ou changer
    1. Nous avons pour « répéter » ce Moi pathologique. Cela mettrait la vie en danger en privilégiant la compulsion de répétition du Moi. Ce serait l'expression de la pulsion de mort sous la forme de la pulsion d’orientation de l’emprise du besoin DU savoir du Moi.
    2. Nous avons pour « changer » ce Moi apprenant. Cela mettrait ce qui ne met pas la vie en danger en privilégiant l'apprentissage de la pulsion de vie sous la forme de la pulsion épistémophilique de la connaissance du besoin DE savoir du Moi (Désir DU savoir = comme objet de pouvoir & Désir DE savoir = comme processus de vie de Charlot & Beillerot).
       
  • Quand l'un s'accroche a ce qu'il pense être, sa réalité et ses psychopathologies, l'autre par contre est prêt à changer, à modifier sa vision de lui-même ancrée depuis la prime enfance.
    1. Conduites mortifères : répéter
      • Nous pouvons constater que lorsque le sujet se fige dans des boucles récursives de compulsion de répétition de son identité et de ce qui la compose (angoisses, névroses, psychoses, psychopathologies, etc.) cela devient une addiction de soi sur soi-même d’où entre autres l’idée de répétitivités et de bénéfices secondaires. En ce sens elle devient elle aussi une addiction délétère. Le sujet privilégie la compulsion de répétition de son Moi bancale de son temps-propre comme espace entre un passé de souffrances (Désir-regret des manques de la psychanalyse de ses souvenirs) et un futur suridéalisé (Désir-souhait des aspirations et projets des philosophes). Dans ce cas, le “JE” du temps-Propre du sujet se désirant permanent par récursivité va essayer de dominer le “JEUX” des processus et phénomènes présents. Contrôle et maîtrise des événements, peurs, angoisses de vieillir, de la finitude, de la solitude, de l’IN-permanence sont au rendez-vous.
    2. Conduites vivifères : changer
      • Par contre, lorsque le sujet est en perpétuel changement de l’image bâtie de lui-même (apprentissage, psyché-analyse, coaching, etc.), et ainsi privilégie l’élaboration comme conception et non la conformation de lui-même par récursivité sclérosante et aliénante, alors là, cette addiction princeps ou primordiale n’en est plus une. Il y a une désaccoutumance du sujet sur ses propres croyances, savoirs et valeurs… de lui-même comme fondement. Le sujet devient la vie, il se syntonise dessus, le changement est permanent, il est synchrone avec le Grand-TEMPS de l’instant présent (le Sacré de Mircéa Eliade). Dans ce cas, le “JEUX” Winnicottien des processus et phénomènes du Grand-TEMPS de l’instant présent va influer sur les “JE” des sujets en devenir. L’impermanence, l’incertitude, l’altérité et le changement permanent du Moi du sujet sont les caractéristiques cette relation systémique : “Rien n’est permanent, sauf le changement.” (Héraclite d’Ephèse)

Constat - Opinions - Jugement… De soi sur soi

  • Nous pourrions formuler que travailler sur les addictions (dépression & grandiosité d'Alice Miller) c’est travailler sur le MOI et la façon (agir et pensée) du sujet témoin des événements : "comment appréhende-t-il ceux-ci ?" Pour illustrer ce Moi figé ou ce Moi dynamique, nous rappelons la phrase d’Epictète, philosophe stoïcien et esclave érudit de l'empereur Marc-Aurèle. Nous sommes certes victimes des autres, mais le bourreau sera toujours nous-même, nos adhérences à nos certitudes :

Ce qui trouble les hommes ce n’est pas les choses, ce sont les jugements (opinions) qu’ils portent sur les choses. […] n’en accusons jamais d’autres que nous-même, c’est-à-dire nos propres jugements (opinions). Il est d’un ignorant de s’en prendre à d’autres de ses malheurs ; il est d’un homme qui commence à s’instruire de s’en prendre à lui-même ; il est d’un homme complètement instruit de ne s’en prendre ni à l’autre ni à lui-même.” (Manuel d’Epictète chapitre V, dans Aurèle, 1995, P. 185-186)

Fabrice Prevost - Consultant - Formateur - Coach

Coach-Thérapeute & Psycho-Pédagogue