A • Trois naissances & Deux êtres

 

A1 - Repères temporels

maternologie et psychanalyse - Jean-Marie Delassus

 

A2 - Naissance 1er : l’être-fœtal effectif ou l’être primaire et l'inconscient princeps

  • Pour Jean-Marie Delassus, notre naissance fœtale de la 10-12 semaines de grossesse se caractérise par une activité importante des neurones libres du cerveau associatif dont seul l’être humain semble disposer. Comme l’homme est déterminé pour ne pas l’être (programmation neurologique), ses neurones libres non programmés en activités dénotent de la présence d’un processus. Cet être-fœtal n'a pas d'identité, il ne s'objective pas, il n'est pas un sujet proclamé et déclaré, il serait lui-même le processus en action du vivant.
     
  • Ainsi, son hypothèse serait que cette activité "neuro-ontologique" serait le reflet de "l’homogénéité" du vivant comme "Totalité Vitale" ou "Totalité originelle" (les mots "—" sont les termes de Delassus). Dis autrement, le million de milliards de connexions synaptiques du fœtus dénote bien d’un phénomène comme activité neuronale. Quel est ce phénomène ? Le fœtus ignorant sa propre présence dans une relation d’objet vivrait une "relation de milieu" comme miroir holographique du vivant. Ce milieu aurait comme caractéristique "l'homogénéité". Il serait le reflet de cette "Totalité Vitale" provoquée par le milieu. Loin de l’idée commune d’être inachevé, immature ou prématuré le fœtus est totalement adapté à son milieu. Pour lui, le plus dure est à venir… Il lui faudra s'adapter à un autre milieu "hétérogène". Comment le fera-t-il ?

 

A3 - Naissance 2e : l’être en passation, le bébé nouveau né

  • À cette seconde naissance, suivant la posture de l’accompagnement, souvent porté par la mère, nous vivons soit une "continuité" ou soit une "fracture" de notre première naissance fœtale de cette "Totalité Vitale".
    • Continuité : la théorie de l’attachement (John Bowbly), le portage kangourou des bébés prématurés nommé aussi le "peau à peau" comme couveuse naturelle (Edgar Rey Sanabria et Nathalie Charpak) évoquent cette idée de continuité de la relation de milieu.
        
    • Fracture : l’hospitalisme et ses carences affectives induites, la dépression anaclitique de l’interruption du développement du bébé par manque d’étayage (René Spitz 1946), la mère morte dépressive (André Green) et le "still-face" ou visage sans expression d'affects et d'émotions (Edward Tronick 1978, Mary Ainsworth et Marie Main), provoqueraient et favoriseraient cette fracture à notre première naissance fœtale. Elle développeraient ainsi des psychopathologies comme l'angoisse disséquante (agony en GB de Winnicott), l'angoisse abandonnique, des attitudes mélancolique ou autistique, voire une régression vers la mort. Cette fracture comme discontinuité de l'origine provoquerait un phénomène d'effondrement chez le bébé.
       
  • Le bébé nouveau né a besoin de l’autre. Non pas de l’autre comme relation d’objet distinct de la jouissance, mais de l’autre comme continuité à la présence au "Tout" de la relation de milieu et de son homogéité. Le bébé ne connaît ni le temps et ni l’espace, l’autre c’est lui et cette autre prolonge la continuité de cette "Totalité Vitale". La transparence psychique de la mère dû à la grossesse (réminiscence d'événements ICs de Monique Bydlowski) et de part la naissance physiologique (accouchement), l’épreuve de la mère sera de revivre elle-même sa propre première naissance fœtale en écho à la demande de son bébé à cette continuité. Pourra-t-elle le vivre ? La préoccupation maternelle primaire de Winnicott sera-t-elle présente ? Le transfert maternelle ou la connexion du bébé à la mère sera-t-il opérant et accompagné ?
     
  • Certaines mères vivent cela avec aisance quand d’autres (10 % soit 80 000 par an en France) vont vivre un moment d’effondrement identitaire et/ou une reviviscence de certains traumatismes, le tout nommé les "folies maternelles" : le post-partum bleu ou baby bleu, la dépression postnatale ou plus sérieux encore la psychose puerpérale. Pour la mère c’est une épreuve. Elle revit son passé traumatique et son être-fœtal primitif dû d'une part à la naissance de son enfant et d'autre part aux demandes de présence de cette totalité par le bébé. La part-manquante de la mère, son être-fœtal de l'inconscient princeps, est ainsi invoquée. Le bébé est en demande de la continuité du prolongement de la "relation de milieu de l'homogénéité". Petit à petit la défusion s’opérera.

 

A4 - Naissance 3e : l’être-citoyen proclamé ou l’être secondaire et sa conscience réflexive

  • Entre cette seconde naissance comme point zéro de notre âge et nos 18 mois, Mélanie Klein a décrit les différentes positions du bébé :
    • Position auto sensuelle, adhésive ou autistique (suivant les auteurs) - État fusionnel indifférentié
    • Position schizo et paranoïde - État de repli sur soi et double pas en arrière
    • Position dépressive du partage d’affects - État d'échange de ses angoisses et petits pas en avant
       
  • Le bébé, se sentant en sécurité de sa continuité (théorie de l’attachement de Bowbly) va pouvoir explorer le sein, les corps, le corps qu’il est comme limite puis l’environnement proche. Sa parole, ses sourires et ses gestes parlent. Suivra ensuite l’acquisition du langage. Ce langage qui met des mots (symbolisation de Lacan) et provoque la distanciation par ce qui nous manque. La mère de la confiance qui assurait la présence de cette "Totalité Vitale" va se transformer en mère de la trahison. Ses absences et son désir d’autre chose (les tiers) vont permettre à l’enfant l’accès à son propre monde, son propre théâtre. L’enfant, par le langage et les mots, va substituer son manque de l’être-fœtal princeps représenté par la mère : la mère physique devient une mère psychique. L’alliance change de camps.
     
  • Ce double mouvement ou double retournement de la pulsion des origines de la "Totalité Vitale" va créer l’identité du sujet (André Green). Son narcissisme primaire de milieu, et non d'objet, se complètera d’un narcissisme secondaire fondé sur ce manque symbolisé. Ce manque symbolisé sera bâti soit sur la relation de milieu prolongé par la mère et/ou soit sur une relation d'objet de la théorie sexuelle infantile de la psychanalyse :
    • Continuité : le bébé investit l’autre comme relation de milieu et non d’objet
    • Étayage : la sécurité permet de développer l’exploration
    • Discontinuité : le manque à être 1er représenté par la mère se transforme
    • Langage : le mot substitutif du manque devient préréflexif créant le sujet-citoyen
       
  • Notre million de milliards de connexions synaptiques de l’être-fœtal par spécialisation se limitera à 30 % de son potentiel de départ chez l’être-citoyen.


A5 - Nos deux êtres ( Fœtal / Citoyen ) ou l'effectif et le proclamé

Le fœtus est un petit patient mais à statut bien particulier puisque, n'étant pas né, il n'est pas reconnu juridiquement comme une personne et n'a pas de droits. Lui porter atteinte n'est pas passible de sanctions ; en revanche dès l'instant où il naît, s’il naît vivant, il acquiert tous les droits d'une personne, et ça depuis sa conception. » (Bergeret, J., & all, 2006, p. 30)*

  • Nous pouvons formuler que nous avons deux visages d’être de l’être :
    • L’être-fœtal de l’inconscient princeps du milieu de l’origine > le processus > le verbe : Être
    • L’être-citoyen né et déclaré physiologique puis psychique agissant et pensant > le sujet du verbe ayant des droits : l'être qui dit "Je suis…"
       
  • Le visage le plus connue et usuellement utilisée est le dernier visage. Il est composée de nos instances psychiques personnelles consciente et inconsciente (Moi, Surmoi, Ça) et du corps que nous sommes comme support ou enveloppe du Moi-peau (Didier Anzieu).
     
  • Le visage le moins évoqué puisque faisant partie de notre inconscient princeps (et non l’inconscient refoulé secondaire ou personnel de Freud) est celle de notre être-fœtal connecté sur cette "Totalité Vitale" comme inconscient archaïque. Cet être-là, très peu de personne en parle et pourtant notre première naissance serait cette présence à ce "Tout" de l'homogénéité où ni le temps et ni l’espace n’existent. Notre première imprégnation comme être serait cette conscience totale du milieu. Cela pourrait expliquer notre besoin effréné de nous allier, d’adhérer, de croire, de nous unir, de rassembler et voire du désir de fusionner. L'amour… toujours l'amour. En bref, le retour à la source de cette totalité uniciste comme élément primitif raconté par André Green sur la finalité des orientations du double retournement de la pulsion (narcissisme de mort et narcissisme de vie) et dans les mythes de Jean Markale.
     
  • Au-delà d’une pulsion à orientation sexuelle, l’orientation serait auto conservatrice de l’origine, du vivant, bien avant celle du Moi du sujet.

 

A6 - Maternologie & Psychanalyse

3 naissances & 2 identités

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* De Chantal Vavasseur au chapitre 3 : Point de vue échographique de la vie fœtale p. 30 dans
  Bergeret, J., Soulé, M., & Golse, B. (2006). Anthropologie du fœtus. Dunod.