G4 - Facteurs reliés : le penser bloqué

 

Inhibition de la pensée
Sophie De Mijolla-Mellor, psychanalyste :
“La pensée buissonnière”

Mijolla-Mellor distingue le besoin de savoir de la pulsion de savoir. Le besoin de savoir se démarque de la pulsion de savoir ou épistémophilique de Freud par le fait que l’enfant a un besoin fondamental : le besoin vital de sens. Pour cet auteur, quatre manifestations inhibent et bloquent le processus du besoin de savoir soutenant le plaisir de penser.

  • L’incapacité à penser > Protection contre le savoir interdit et l’intrusion de l’adulte : “Je sais pas…”
  • La neutralisation dans la pensée > Doute et choix impossible entre (A/B) comme l’ambivalence : “J’aime et je hais mes parents…”
  • L’abandon de pensée > L’enfant remet à un autre le soin de penser pour lui-même, principe du militant (adhérence idéologique)
  • Le plaisir de pensée inaccessible ou interdit > Danger du savoir, secret, etc.
    • Le besoin de savoir porte sur les énigmes de la vie et de la mort, sur le sexe, la naissance, et va investir les objets les plus divers. […] Le besoin de savoir semble alors prendre une voie parallèle à celle de l’école, parfois même de manière pathologique, au point que l’adolescent en échec scolaire manifestera à l’inverse un goût prononcé pour l’acquisition autodidacte des connaissances qu’il refusait d’apprendre à l’école. […]
      • Le savoir n’a de valeur que si, d’une manière ou d’une autre, il est porteur de mystère, parce qu’il procède de ces énigmes sans réponse que sont la vie et la mort. La différence entre le bon élève qui satisfait aux exigences scolaires et l’enfant authentiquement doué, et le cas échéant précoce, passe par cette possibilité de transformer le contenu des apprentissages en initiation, cause de jouissance. (pp. 202-203).
        • "La pensée peut-être interdite en raison du plaisir que le sujet pourrait y prendre […] mais elle peut-être inaccessible, impossible au moins en partie parce que le sujet y perdrait, non pas l'amour et la protection, mais sa représentation de lui-même et des autres." (p. 209)

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L'absentéisme passif ou ne pas penser
Serge Boimare, directeur pédagogique et psycho pédagogue :
“Peur d’apprendre, peur d’enseigner”

Article complet sur l'auteur ici

Le propos de Serge Boimare ne concerne non pas l’absentéisme actif, autrement dit ceux qui ne sont pas là, mais l’absentéisme passif, c’est-à-dire ceux qui sont là et ne font absolument rien ce qui est une façon de s’absenter aussi. Cela concerne 10 à 12 % des élèves qui vont au collège. Dans ce cas de figure on ne peut plus parler de difficultés d’apprentissage mais échec sévère de l'apprentissage.

  • “Le gros du bataillon des absentéistes est constitué d’élèves qui vont au collège, s’y ennuient, s’y sentent mal et trouvent que le collège ne s’intéresse pas à eux. […] S’ils sont en échec scolaire, c’est toujours de la faute des autres – à commencer par les enseignants –, peu d’entre eux étant apte à se remettre en cause, et à reconnaître leur insuffisance. Ils se plaignent que les profs les embêtent, leur parlent mal, ne les respectent pas. Et bien sûr, ce sont ceux-là qui vont entrer dans l’absentéisme scolaire. […]
    • Ces jeunes n’ont pas les compétences psychiques nécessaires pour affronter les contraintes de l’apprentissage. […] Il y a chez ces enfants un seuil de tolérance à la frustration trop faible, un manque d’autonomie et d’estime de soi, une incapacité à supporter les règles et les lois. Quand le savoir à acquérir exige de reconnaître ses manques, d’affronter ses insuffisances dans un moment de doute et de solitude, cela devient insupportable pour eux. C’est ici que se crée l’enchaînement qui mène à la peur d’apprendre.
      • Ces enfants sont alors amenés à mettre en place des stratégies visant à leur permettre de ne pas être confronté à la pensée de ne jamais entrer dans ce temps de suspension nécessaire à l’élaboration. Quand ce temps où il faut confronter son organisation interne aux exigences de l’apprentissage est toujours évité, on peut parler alors de véritables “phobies du temps de suspension”, a priori moins grave que la phobie scolaire, mais qui va être responsable de ce retrait de participation que j’assimile à de l’absentéisme passif.” (pp. 266-267)

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Réapprendre à penser et ôter le danger
Nicole Catheline, psychiatre :
“De la douleur au plaisir de penser : place à la médiation”

Après avoir développé les enjeux psychodynamiques de l'adolescence, Nicole Catherine, psychiatre, nous montre l'importance de la relation étayant enseignants-élèves, afin que l'enfant puisse entrer dans un processus d'abstraction de la pensée. Ce processus étant la clé de voûte de leur propre réflexivité (Moi) élaborant leur narcissisme (identité) : restaurer la confiance en soi induit celle de l'image de Soi qui elle-même s'articule par le plaisir de penser. Retrouvons le goût de penser.

  • « Car tout apprentissage est indissociable de la personne qui fait apprendre et donc de la relation entre l'enfant et l'adulte. (…) Le jeune collégien doit impérativement être entré dans le processus d'abstraction, c'est-à-dire être capable de s'abstraire du concret, du proximal, pour généraliser, pour reconnaître le semblable et le différend, la norme est l'écart qui rend singulièrement la rencontre. (…) La plupart des collégiens et lycéens que nous recevons à Mosaïques ont été atteints dans leur processus de pensée, beaucoup parce que leur relation à l'école a plus souvent été une souffrance qu'un plaisir à acquérir des connaissances, d'autres par ce qu'un état dépressif ou d'autres difficultés psychologiques récentes ou évoluant depuis de nombreuses années les ont empêchés d'avoir du plaisir à penser.
    • (…) la priorité pour qu'un jeune adolescent accepte de retourner à l'école en y trouvant un intérêt personnel, et pas seulement pour se conformer à la norme, était de lui donner du plaisir à penser. Dans un premier temps, il convenait de lui montrer que penser n'était pas douloureux ; dans un deuxième temps, lui montrer que les processus de pensée nécessaires à l'école étaient les mêmes que ceux dont il était question dans le lieu de soins ; troisièmement, que la difficulté pouvait être source de progrès sous certaines conditions et enfin qu'on pouvait changer d'avis et avoir des points de vue différents sans que cela constitue une hémorragie narcissique. » (pp. 322-323)
      • « En sûr valorisant les études dites longues, c'est-à-dire nécessitant un accès à l'abstraction dès la classe de quatrième, l'enseignement en France laisse de côté bon nombre d'élèves qui non seulement finissent par être découragés par le système, mais surtout refusent de croire en leur capacité réflexive (fondateur du narcissisme) parce que le lieu où précisément il devrait y être initiés les en a découragés. Il est cependant possible de leur réapprendre à penser, réfléchir, juger, raisonner, dans d'autres lieux. » (p. 328)