— 2 - Posture du philosophe

Philosophie : informer ou former ?

À cette époque lointaine de la Grèce antique, d’après les écrits de Pierre Hadot (réf. 1), la pensée suivait ou accompagnait l’agir. Ainsi, être philosophe était une réflexion en acte : se poser des questions sur les actions, les ajuster suivant nos intentions en relation aux valeurs collectives de la cité. La philosophie était réflexive comme boomerang à l’agir. Pour les Grecques de cette époque, ce retour réflexif élaborait l’identité du sujet.

Dans les écoles philosophiques de l’antiquité, la clé était de former sous forme de dialogue (dialogie : art du dialogue) et non d’informer (monologue du maître). Former le novice ou le disciple, c'était l’obligé de se questionner afin de s’élaborer par une pensée dynamique dialectique (réf. 3) et non comme les sophistes et rhéteurs par une pensée persuasive rhétorique. Nous sommes ici en présence d’un processus d’accompagnement et non d’instruction.

 

Philosophie : spéculative ou expérientielle ?

Actuellement, dans notre monde contemporain, il y a bien souvent une rupture entre le dire et le faire : “ce que je dis” et “ce que je fais” ne sont pas synchronisés. La philosophie conceptuelle devient autosuffisante à son propre discours. Il y aurait un plaisir et une jouissance à dire ou à spéculer (autocontemplation et suffisance narcissique).

Certes, cette démarche permet aussi à la pensée de grandir, mais pour les philosophes de la Grèce antique, le discours est avant tout un dialogue formatif et élaboratif, en aucun cas le discours sera un monologue informatif et spéculatif. Cette dialogie est à la fois un questionnement intérieur d’une identité évolutive du Moi (chapitre suivant n° 4) et un questionnement extérieur sur l’éthique et les valeurs actives de la cité (chapitre suivant n° 5). Ce questionnement prend en compte le souci de soi et le souci de l’autre dans un tout existentialiste indissociable. N’avoir que le souci de soi est pour eux un leurre puisque l’un est lié et relatif à l’autre : “Tu es le fils de… du village de… de la communauté… etc.”.

 

Philosophie : par-être ou être ?

Ainsi poser, actuellement être un théoricien de philosophie ne veut pas dire que cet érudit est un philosophe. De même, certains jouent de la musique lorsque d'autres sont musiciens. Nous pouvons être un professeur de philosophie sans avoir cette posture du philosophe (chapitre suivant n° 3). Chez le philosophe de la Grèce antique, ses questionnements sur l’agir vont élaborer une éthique de l’action, des valeurs référantes et des systèmes de régulation présents dans ce double souci de soi et de l’autre.

En Grèce antique, être un philosophe c’est ne pas dissocier l’acte de la pensée, ils sont tressés ensemble comme le corps et l’esprit dans un ici et maintenant intemporel. Le philosophe de cette époque cherche à abolir les contingences du temps composé de nos entraves du passé et de nos peurs du futur incertain. Seul le présent active ce passé et ce futur puisque le passé est dans la mémoire, puisque le futur est dans l’imagination, alors seul le présent active passé et futur dans un instant créateur. S’ancrer dans le présent implique pour ces philosophes un travail sans fin d’élaboration et de transformation de leur Moi, de leur individualité toujours en relation à l’altérité dans ce double souci de soi et de l’autre afin d’atteindre l’ataraxie ou la paix de l’âme.

Ataraxie : D’après ces préceptes, pour cheminer soi-même vers cet art de vivre de l’attitude des philosophes antiques, ce cheminement demanderait dans l’ici et maintenant : de s’impliquer corps et âme, de dialoguer, de questionner l’agir, ainsi que de transmettre et non d’informer dans une perspective tenant compte de soi et de l’autre. Cette attitude serait une première pierre pour atteindre la paix de l’âme.