Philosophies de la Grèce antique et notre avenir
Notre époque manque-t-elle de repères pour élaborer son avenir ? Nos jeunes et nous-même pourrions-nous nous inspirer de ces philosophes antiques afin de trouver et construire ce qui fait sens ? D’après ce déroulé sur “les âmes troublées” et nos courants paradigmatiques de pensées des philosophes de la Grèce antique que pouvons-nous proposer ? Certains parallèles sont possibles, que nous soyons animistes, païens, croyants ou scientistes. Le sacré de la Vie se passe d’institution, alors oui, certaines bases de l'aristotélisme, de l’épicurisme, du stoïcisme sont très actuelles.
Des pensées et écrits pour moi-même... mais pas seulement
- Dialogue intérieur : Penses-tu que ces philosophies de la Grèce antique et plus particulièrement le stoïcisme seraient toujours d’actualité dans ce monde contemporain ?
Oui ils sont d’actualité. La démarche de ces philosophes est à la fois une théorie des sciences de l'observation et une approche pragmatique, tel que nous l'a montré Pierre Hadot dans ses études et ouvrages sur les courants philosophiques de la Grèce antique (réf. 1). C’est avant tout un art de vivre et non un simple courant spéculatif de concepts de la pensée.
La philosophie est une roue inventée il y a bien longtemps. Cette roue, bien que redessinée et complexifiée à chaque époque, reste une roue dans sa fonction première. Nous vous proposons de retourner à l’origine de cette fonction sans artifice du paraître. Afin que ces paradigmes ou courants de pensées puissent revivre, il serait par contre souhaitable de les actualiser et de les rendre accessibles puisque ces paradigmes de pensée se cultivent hors de tous dogmes.
La philosophie est née du désir de l’homme de se prendre en main, d’être responsable de lui-même et de la cité (réf. 2) tel que l’exprime romain Gary dans la promesse de l’aube : il propose de laisser la terre aux hommes, le sacré à la vie et il invoque aux Dieux de rester là où ils sont.
- Dialogue intérieur : Que veux-tu dire par hors de tous dogmes religieux, politiques ou scientistes ?
Le stoïcisme est très loin des sectes, des gourous autoproclamés et des institutions dogmatiques religieuses, politiques ou des chapelles de savoir des sciences. À cette époque polythéiste, le Dieu des stoïciens est “la Raison universelle” de la Vie ou du vivant. Comme si, le vivant était ou avait une conscience universelle : le Tout ou totalité du cosmos. Cette expression panthéiste est plus proche de la conception de Spinoza, du bouddhisme ou des théories quantiques. Dans cette conception, le panthéisme est un naturalisme où la Nature et ses forces sont une divinité formant un Tout insécable.
Dieu qui n’est autre que la Raison universelle, produisant en cohérence avec elle-même tous les événements cosmiques. (Hadot P. 1992 p. 134)
En plus de cela, Pierre Hardo précise qu’un philosophe n’est pas un sage mais en quête de la sagesse. Il ne se prend ni pour un représentant des dieux et ni pour un Dieu. C'est le passage paradigmatique de la théogonie avec les représentants des dieux à la cosmogonie avec l'organisation démocratique de la cité, ou encore la passage de la "sophia" (sagesse) à la "philo-sophia". Le mot philosophie a pour sens “discours sur la sagesse” ou “amour de la sagesse”, ainsi le philosophe marche vers l’ataraxie. Il sait qu’il est imparfait, il n’est pas un sage mais il est celui qui chemine vers cette quête de la sagesse. Pour le philosophe stoïcien, pourqui Dieu est cette “Raison universelle” du Vivant, il sait qu’il est lui, comme philosophe, un “non-sage conscient” en cheminement ou en progrès spirituel vers cette sagesse contrairement au “non-sage inconscient” par déviation de leur raison emprisonné dans leurs désirs, jouissances et peurs. De ce fait, une partie du travail du maître est…
Le but des propos d’Épictète est de modifier le discours intérieur de ses auditeurs. (Hadot P. 1992 p. 94)
Ainsi, aucune entité charismatique ne peut se prévaloir d’un mouvement de pensée comme le stoïcisme. Nommés à l’époque maître, ce sont des représentants d’une philosophie comme attitude de vie, d’agir et de penser. Hors de tous systèmes institutionnalisés. Un paradigme philosophique ou façon d’interpréter et de représenter le monde peut se vivre pleinement sans être entravé à une personne ou à une béquille idéologique dogmatisée.
- Dialogue intérieur : Toutes démarches philosophiques ou non s’appuient sur des valeurs, lesquelles pourraient répondre à cette attente de la jeunesse actuelle ?
Quelles seront les valeurs de demain puisque les fausses valeurs actuelles s’écroulent ? Ce souci de l’avenir et de notre planète malade de nos actes résonne avec ce que développe Pierre Hadot à propos des stoïciens : l’accordage de nos valeurs aux valeurs suprêmes de la vie. Ce phénomène est le même chez le petit enfant qui se syntonise à son environnement, il est dans un TOUT interconnecté à son environnement. Cette longue citation illustre cette quête d’un Moi en évolution vers son troisième niveau de maturation afin de retrouver cet état de syntonisation aux valeurs suprêmes de la Vie.
Le stoïcisme est une philosophie de la cohérence avec soi-même. Cette philosophie se fonde sur une remarquable intuition de l’essence de la vie. D’emblée, dès le premier instant de son existence, le vivant est instinctivement accordé à lui-même : il tend à se conserver lui-même et à aimer sa propre existence et tout ce qui peut la conserver. Cet accord instinctif devient accord moral avec soi, lorsque l’homme découvre par sa raison que c’est le choix réfléchi de l’accord avec soi, que c’est l’activité même du choix qui est la valeur suprême et non les objets sur lesquels porte l’instinct de conservation. C’est que l’accord volontaire avec soi coïncide avec la tendance de la Raison universelle, qui non seulement fait de tout être vivant un être accordé à lui-même, mais du monde entier lui-même un vivant accordé à lui-même. Comme le dit Marc-Aurèle : “Tout ce qui est accordé avec toi est accordé avec moi, ô Monde. (Hadot P. 1992 p. 132)
Le dérèglement climatique actuel nous pointe avec urgence la problématique dans laquelle l’humain a cheminé. Il s'est séparé de ses racines, son orgueil et sa vanité là poussée à vouloir imposer ses valeurs désaccordées aux valeurs suprêmes de la vie. Nos générations futures, en s’inspirant du stoïcisme, peuvent ainsi trouver une nouvelle base de valeur s’accordant au vivant afin d’orienter leurs actes et pensées.
- Dialogue intérieur : Ne serait-ce pas élever un nouveau dogme avec une orientation naturaliste ?
Depuis la nuit des temps deux types de civilisation s’opposent : les belliqueuses compétitives et les fraternelles coopératives (réf 11 & lien). De même nous retrouvons cette tension dialectique des contraires entre les organisations matriarcales et patriarcales (réf. 12 & lien). Nous savons que ces deux axes de développement sont possibles et factuels. Alors, changer d’axe n’est qu’une question de désir, d’aspiration et de choix collectif, ayant comme les stoïciens et les humanistes, le souci de soi et des autres. Ce choix éloigne toute approche ou un seul terme prévaut : l’individualisme, l'hédonisme et l'égoïsme. Comprendre que notre réalité personnelle est relative à l’autre, notre communauté qui est relative elle-même au vivant, c’est tenir compte de ce vivant et de cette communauté tout comme de soi. Pierre Hadot précise que :
La philosophie stoïcienne a donc pour but, comme projet, comme objet, de permettre au philosophe de s’orienter dans l’incertitude de la vie quotidienne en proposant des choix vraisemblables, que notre raison peut approuver, sans qu’elle est toujours la certitude de bien faire. Ce qui compte, c’est de n’agir qu’avec un seul motif : celui du bien moral, sans autre considération d'intérêt ou de plaisir. C’est là la seule valeur, l’unique nécessaire. (Hadot P. 1992 p. 136)
Ainsi posée, cette approche n’est pas seulement naturaliste mais aussi culturelle et sociétale. Ce type de transformation et de changement devient possible si le danger pour la survie est imminent. Par exemple, nous passons d’un fait des modifications climatiques aux questionnements collectifs suivi d’un discours intérieur de ce qui vaut. Ce questionnement comme discours intérieur est l’éthique comme processus dynamique (lien). L’éthique interroge la validité de nos valeurs actuelles régissant nos actions et pensées.
- Dialogue intérieur : Ce discours intérieur et l’éthique ne sont pas toujours des plus constructifs, ils peuvent être biaisés !
Oui, effectivement, toute personne n’a pas appris dès son enfance à dialectiser comme mode de pensée (réf. 3 & lien). Cette façon de pensée dynamique de la dialectique soupèse le pour et le contre. Elle vient de la Grèce antique lorsque les hommes ont voulu prendre leur destin en main hors des dieux : la philosophia ou discours sur la sagesse. La dialectique dynamique s’oppose à la rhétorique persuasive des rhéteurs et sophistes (prêtres, politiciens, etc.). Nous avons un exemple avec la crise du Covid-19. D’un côté nous avons le discours officiel (les rhétoriciens) et ceux qui proposent de débattre le fait et ainsi remettent en question ce discours officiel (les dialecticiens). Avoir un mode de pensée dialectique dérange comme vous avez pu le constater lors de cette crise. Contrairement à la rhétorique qui vous persuade de la solution, le discours dialectique est inconfortable dû à l’incertitude des réponses potentielles. Censurer, dénigrer, décrédibiliser sont les réponses que proposent ces rhétoriciens ou rhéteurs. Pierre Hadot écrit :
La vie philosophique stoïcienne consiste essentiellement dans la maîtrise du discours intérieur. Tout, dans la vie de l’individu, dépend de la manière dont il se représente les choses, c’est-à-dire dont il se les dit à lui-même intérieurement. Ce qui nous trouble, disait Épictète, ce ne sont pas les choses, mais nos jugements sur les choses, c’est-à-dire notre discours intérieur au sujet des choses. (Hadot P. 1992 p. 93)
Lorsque nos sophistes contemporains imposent une dictature de la pensée unique, alors pour un stoïcien actuel, tout comme une réelle démarche scientifique, la dialectique est une des bases incontournables de leur doctrine via un discours interne comme externe, afin de conserver l’esprit libre de tout avis, opinions ou jugement de valeur mal approprié.
- Dialogue intérieur : Alors, la subjectivité remplacerait l’objectivité ?
Qu’est-ce que l’objectivité si ce n’est un consensus collectif de subjectivités ou paradigmes autour soit d’une idée, soit d’un fait mis à l’épreuve dans une linéarité temporelle des causes et des effets. Chaque époque élabore des savoirs et des croyances, chaque époque a son aliénation mentale paradigmatique comme culture. Elles ont toutes revendiqué leurs objectivités du “quoi savoir-croire”. Et ceux qui osaient remettre en question celles-ci étaient soit des fous, soit des hérétiques et dernière mode du XXIe siècle, celle des complotistes… la paranoïa collective d'une société n'est pas loin… pour éviter cela, le message du philosophe Karl Popper est suffisamment clair. Il exprime que toute vérité scientifique ou non considérée comme objective est une erreur en sursis ; qu’une théorie scientifique ne doit pas être confirmée, mais au contraire mise à l’épreuve et invalidée dans une pensée et une confrontation. Dans ce cas, nous valorisons le “comment savoir-croire” des stoïciens. À ce propos Pierre Hadot écrit :
Tout est subjectif, c’est-à-dire tout est jugement, c’est-à-dire à la lumière de l’idée d’Épictète selon laquelle tout est représentation. Ce qui ne veut pas dire que nous ne connaissons pas la réalité, mais que nous lui donnons subjectivement des valeurs (de bien ou de mal) qui ne sont pas fondées dans la réalité (…) Tout n’est qu’affaire d’opinions ; ce sont nos jugements de valeur qui nous troublent, et ils ne sont que vanité. (Hadot P. 1992 pp. 102-103) (...) Il n’y a de mal que le mal moral, c’est-à-dire ce qui nous empêche de pratiquer les vertus. (Hadot P. 1992 p. 122)
- Dialogue intérieur : Que proposes-tu pour nos générations futures afin de penser le monde autrement ?
Pourquoi réinventer la roue puisque certains mouvements de pensées et paradigmes l’ont déjà fait avant nous. Revisitons et prenons dans ces approches anciennes ce qu’il y a de plus pertinent dans chacune d’elles. La curiosité des aristotéliciens, la mesure de nos besoins réels des épicuriens et non la démesure hédoniste, complétée par ce discours dialectique intérieur des stoïciens en quête des valeurs suprêmes de la Raison universelle de la Vie ou du vivant.
Composons nous-même d’une façon éclectique nos bases de valeur de demain. Seule cette approche comme démarche éthique du vivant me paraît la voie à suivre, sinon notre mère-Terre ou mère-Nature avec pour commencer ses dérèglements climatiques nous le fera bien comprendre. Sera-t-il trop tard pour agir ensemble raisonnablement sans réagir à nos impulsions égotiques de nos désirs de jouissance et de toute-puissance ! Nous ne sommes ni des dieux, ni des sages mais pour certains d'entre nous, nous sommes des "non-sages conscients de l'être", autrement dit juste des philosophes en quête de la paix de l'âme pour soi comme pour les autres.
- Dialogue intérieur : Quel art de vivre d'hier à aujourd'hui ?
Ces bases restent toujours valides pour que nos jeunes élaborent un nouveau style de vie, une attitude active tout comme ces philosophes qui vivaient la philosophie en acte dans un souci de soi et de l’autre. La philosophie est un art de vivre et de se vivre. Je vous propose se dérouler ou sommaire afin d’éclairer notre thématique des “Âmes troublées” et boucler sur une proposition :
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Prologue : dialogue intérieur sur les philosophies de la Grèce antique et notre avenir
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Postures des philosophes de la Grèce antique
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Trois écoles philosophiques de la Grèce antique
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Le philosophe et les quatre étages de maturation de son Moi
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Philosophie, éthique, valeurs et régulateurs
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Épilogue : âmes troublées… ataraxie sans Atarax
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Valeurs et vertus pertinentes de la Vie
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Cartes heuristiques et constat du XXIe siècle
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Notes
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