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Entretien avec un responsable des ressources Humaines


 

Qu’est-ce qui différencie l’intervention d'accompagnement de coaching que vous proposé des autres formes d'interventions d'expertise ?

  • Le coaching est l'art d'accompagner les sujets. Il se dissocie des autres pratiques par le fait qu’il n'y a pas d’objectif ou de quête d’un idéal fonctionnel, modélisé par des experts ou par le « mieux-être » du soin. Le coaching d'accompagnement travaille sur la capacité des personnes à habiter leur propre existence dans un seul but : « bien-être… ensemble ».


Développer ce mieux-être et bien-être ensemble

  • Le mieux-être recherché par d’autres pratiques présuppose la notion d’harmonie, de régler ce qui fait problème, de retour à un présupposé de la normalité. Où est cette référence qui fait force de vérité ? Le bien-être du coaching de l'accompagnement est un pari sur la capacité des personnes à vivre leurs problèmes, interrogations et questionnements. Cela ne va pas de soi puisque qu'ils s'expriment par des contradictions et conflits moteurs et constructeurs d’eux-mêmes.


Vous parlez de contradictions et de conflits, n’est-ce pas ce qui dérange justement et qui pose problème ?

  • Justement c’est là que l’écart se creuse encore plus entre les pratiques du coaching d'accompagnement et celui des consultants experts en ceci ou cela. Le coaching d'’accompagnement travaille avec chacun tel qu’il est dans son histoire. L’accompagnement ne promet ni l’harmonie, ni un idéal d'être, ni l’abolition des conflits inhérents à l’existence : il les met en travail. Une des fonctions de l’accompagnateur est de faire médiation dans cet espace de réflexion où se construit le sens grâce et par le conflit : "C'est parce que le réel fait obstacle, c'est parce qu'il prend son existence du refus que l'homme fait surgir la question de la signification en y répondant par la formation de représentations, par la création imaginaire." (Guist-Desprairies F. (2003). L'imaginaire collectif. Érès p.21)


Si je vous suis les conflits sont une occasion d’évoluer, et si je ne veux pas évoluer mais les résoudre ?

  • Si le conflit n’est pas accompagné, il évolue vers une situation de crise, la personne se referme sur elle-même (stratégie de défense) ou attaque les autres pour les éliminer (agressivité). C'est un rapport de type gagnant/perdant qui bloque toute forme de mouvement. C'est mortifère.

  • Si les conflits sont accompagnés, c’est une dynamique qui se met en place. Celle-ci évite le repli ou l'agressivité. Cette dynamique travaille les carences du sens. Elle va permettre d’explorer de nouvelles pistes et d’être innovant par le dialogue, la parole élaborative témoin des imaginaires individuel et collectif en marche. Elle permet de s’ouvrir aux autres, à ce qui est différent et ainsi d'enrichir une autre façon de voir et de rendre habitable ses conflits. Ils deviennent une source de nouveau ou une re-source de re-nouveau.

  • Cette forme de dialogue et d’échange des divergences qui n’impose ni certitudes, ni jugements de valeur, est la clé de voûte de toute dynamique organisationnelle  et individuelle tant attendue et souhaitée. Mettons là en place. En accompagnement, le conflit devient une opportunité de création et non un problème à aplanir, à résoudre.


Vous préconisez une forme de gestion des conflits ?

  • Non, pas de gestion des conflits, mais d’accompagnement des conflits par une recherche de sens et d’autonomie, ce qui permet d'éviter le stade de la crise. La gestion des conflits, telle qu’elle est connue, est un compromis de satisfactions individuelles. C’est plus une approche comptable ou de l'échange marchand. Tout le monde doit y trouver son compte. C’est de la pure négociation. L’accompagnement des conflits permet une mise en travail pour ouvrir d’autres espaces de partage et d’enrichissements mutuels. Cette mise en travail des conflits permet d’apprendre, de voir autrement, de créer autre chose… par la communication, le dialogue, la rencontre et l’écoute de ce qui est différent de soi.


L’accompagnement que vous proposez va s’axer sur la communication, le dialogue, la parole et la rencontre ?

  • La communication est ici le vecteur. Vecteur d’échange, vecteur de conflit, vecteur de tension et ainsi vecteur d’enrichissement mutuel. La communication est fondamentalement conflictuelle : « Pensez-vous tous pareils ? Avez-vous les mêmes opinions ? Etc. ». Nous sommes bien loin des notions de quête d’un « mieux-être » ou d’harmonie du début de notre conversation. Seul, le « bien-être ensemble » est travaillé en accompagnement. La parole et le sens en sont les vecteurs privilégiés.

  • En accompagnement, il n'y a pas de modèles parfaits ou de systèmes idéalisés dans des grilles immuables et vraies. C’est habiter ses doutes, ses errances, ses erreurs, ses conflits par le dialogue avec ce qui est autre que soi et non les lisser ou les supprimer au nom d’un modèle sans fautes.


Aucune certitude dans la démarche d'accompagnement contrairement aux autres plus méthodologiques ou psychologiques ?

  • La seule certitude dans le monde des relations humaines, c’est que rien ne peut être reproduit d’après des modèles idéalisés. « Faites-vous comme vos parents ? Vos enfants, feront-ils comme vous ? Etc. » L’accompagnement est un pari. Pari sur la capacité de chacun à construire du sens, son sens en relation aux autres (apprentissage), à se construire vers un « bien-être ensemble ». Cela ne peut se faire seul, sans accompagnateur. D’où les notions de communication, de dialogue, d’échange, de rencontre, d’écoute dans un espace d’accompagnement et de médiation qui le permet, l’autorise.  

 

Vous parlez d’autorisation ?

  • Oui, s'autoriser d’habiter ses doutes, ses contradictions, ses questionnements, ses conflits et ses tensions inhérents à l’existence, pour faire au plus juste, au mieux… et non culpabiliser parce que nous ne sommes pas parfaits d’après un modèle prescrit par je-ne-sais-quoi ou qui… les médias, l’institution, une idéologie, un dieu, voir même la pression de nos proches.


Effectivement, il y a une différence, pouvez-vous la formuler autrement ?

  • L’accompagnement se différencie dans un écart aux autres propositions des experts et des guides. Cet écart est un très grand écart, celui d'accompagner les conflits inévitables, nécessaires et essentiels entre deux pôles contraires [Singularité/Conformité]. Entre, d’un côté le pôle de s’assumer, de faire avec tout ce qui est là, de se relier à ce qui est autre pour enrichir et construire ses propres actions; et de l'autre côté le pôle de la conformité et de l'adhésion aux modèles, normes qui prescrivent un idéal d'action : « Dans votre métier, votre vie, faites-vous tout ce qui est prescrit ? Suivez-vous la recette ou l'adaptez-vous aux situations vécues ? »

  • L’accompagnement ne rejette pas le prescrit, bien au contraire, il lui offre sa légitimité et ainsi son autorité. L’accompagnement autorise et permet leurs interprétations, leurs adaptations par chacun, dans sa singularité : c’est la réécriture de ce qui est essentiel pour soi en relation à l’autre. C'est le conflit récurrent et constructeur des contraires de la dyade [Contraintes/Libre vouloir] rendu possible par la présence d’un tiers-régulateur. En accompagnement, nous changeons l'éclairage. Nous passons du rapport de culpabilité à une relation de responsabilité des personnes.


Développez cette idée de culpabilité et responsabilité

  • Le rapport de culpabilité émerge lorsque la représentation véhiculée par le bon personnage idéalisé et universel n'est pas au rendez-vous. Cette culpabilité est impulsée par un besoin d'homogénéisation rassurante, d'harmonisation, de certitudes, d'être comme le référent, d'être reconnu… qui aplanissement ou provoquent le déni des conflits.

  • La relation de responsabilité se construit par des personnes engagées et singulières dans une réflexion et un environnement hétérogène mais enrichissant. Dans cette relation à l'hétérogène, l'inconnu, l'incertitude inquiète et génère des angoisses existentialistes et des peurs. Celles-ci provoquent des conflits qui, s'il y a un accompagnement adéquat, deviennent moteurs de nouveau et d'innovation et non d’un imaginaire en crise de symbolique inaccessible.

  • Ici se joue l’écart entre d’une part la servitude volontaire par besoin de conformité et de reconnaissance, c'est le pâtir du : « Être la bonne petite fille… »; et d’autre part, l'autonomie et l'émancipation par désir de se créer, de se connaître, c'est l'agir : « La petite fille qui est…».


Vous proposez de passer d'une situation de soumission à celle de création ?

  • Oui, pour cela il nous faut travailler sur nos choix, ce qui fait valeur, et ainsi s’évaluer pour choisir entre aplanir les conflits ou les mettre en travail, entre pensée unique et pensées plurielles, entre rapport à la norme et relation au libre vouloir. En fonction de cette évaluation, les actions prendront deux directions. Soit celle d’une orientation de répétition d’un idéal conforme. Soit la direction d’une orientation du mariage des différences et ainsi de cultiver les dynamiques d’innovation et de création. Reproduire ou produire sont les deux mots qui expriment cette idée.


Vous parlez d’évaluation, mais l’évaluation stigmatise ?

  • Pour sortir de cette stigmatisation, il nous faut comprendre que l’évaluation, ainsi ce qui fait valeur, n’est pas du contrôle, ce qui fait référence. Quand le contrôle permet la stabilisation et la maîtrise, l’évaluation permet la dynamique, le mouvement. Et comme l’évaluation est, soit souvent confondue avec le contrôle, ou soit utilisée à sa place sous son nom, la confusion est forte.

  • Lorsque je double une voiture, j’évalue si cela est possible et ensuite je contrôle l’action. Quand vous roulez trop vite, vous évaluez les risques de vous faire contrôler. Quand vous m’écoutez, vous évaluez le dialogue et son contenu pour contrôler votre pensée et construire votre prochaine question. L’évaluation est ce qui nous permet d’être dans une relation, alors que le contrôle est ce qui nous permet de contenir une relation. Pour cela l’évaluation doit être régulée.


Où voyez-vous ce régulateur qui conditionne notre contrôle. Qu'est-ce ou qui est-ce ?

  • Le régulateur est le tiers entre évaluation et contrôle. Ce tiers-régulateur est d’une part symbolique et d’autre part inclus ou pas. Dans la crise, il y a carence du symbolique soit par déni, soit par symbolisation faussée, soit par absence de sa présence. Le tiers-régulateur est symbolique sous forme de loi universelle, des valeurs d’une culture. Il peut être représenté par une présence, comme celle du gendarme, ou encore être des objets investis de cette fonction, ce sont les doudous comme l’objet transitionnel de Winnicott ou l’objet de relation de Gimenez et en accompagnement, l’objet tiers médiateur. Le tiers-régulateur est inclus ou non-inclus par apprentissage et intériorisation psychique du tiers symbolique. Nous ne nous rappelons pas de celui-ci, mais notre culture nous l’a appris : « Maman est mon premier amour, mais ne sera pas à moi ». Ce sont les interdits, les inter-qui-disent comme « la figure du Père » représente le tiers-régulateur symbolique.

En accompagnement, notre fonction est de permettre aux conflits inhérents à toutes existences et consciences d’investir un tiers-régulateur qui évite la crise sous forme de repli sur soi (inhibitions) ou de passage à l’acte par la violence. Notre rôle est de faire médiation pour éviter ces extrêmes destructeurs et ainsi accompagner vers une dynamique constructive, innovante et créatrice.


Votre proposition d’intervention en accompagnement des relations humaines permet de vivre un bien-être ensemble par :
    • Assumer les conflits qui sont inhérents à l’existence
    • Accompagner les conflits pour ne pas arriver au stade de crise
    • Assumer le conflit entre [ Contraintes / Libre vouloir ]
    • Savoir se situer entre [ Servitude-Pâtir / Créer-Agir ]
    • Ne plus mélanger et utiliser [ Contrôler / Évaluer ]
    • Travailler l'investissement d’un tiers-régulateur symbolique

Et tout cela, en animant des sessions de dialogue, d’échange, de communication et non de négociation qui mettent en jeu les conflits inhérents à l’existence dans une perspective dialectique vers une interprétation qui réorganise les potentialités d’action. N’est-ce pas présumer que l’accompagnement des ressources humaines est la solution à tous les maux de nos organisations ?

  • C’est bien cela, construire un « Bien-être ensemble » est un pari, celui d’assumer ce qui nous construit et nous conditionne sous forme de contradictions et conflits. C’est une mise en travail dialectique et responsable de ce qui m’agit. Et non celui de rechercher hors de nous-même une quête d’un meilleur, un idéal inaccessible, un modèle parfait du « mieux-être » promis par des experts ou prophètes aux visages multiformes qui utilisent cette angoisse fondatrice pour mieux nous déresponsabiliser. C’est regarder sa face, plonger au plus profond de soi pour comprendre sa structure. C’est  construire, par l’évaluation, le sens de ce qui fait valeur. Cela ne peut se faire seul. Son propre contrôle est interdépendant des autres et des tiers-régulateurs investis. Cela s’élabore grâce à une relation communicante qui autorise et construit la symbolisation indispensable au « bien-être ensemble ».

  • Animer des groupes de parole, dialoguer et échanger sont les vecteurs d’une maturation. Quand l'éclairage bouge, notre vision du monde change. C’est vivre l’alternance entre le pôle des besoins de légitimité-conformité (Mêmeté) et au pôle du désir de responsabilité-singularité (Ipséité). C'est le va-et-vient où il faut se repérer, le conflit potentiel qui peut devenir une crise. Savoir se situer entre, c’est savoir évaluer d’où nous parlons. L’accompagnateur est un spécialiste de cette évaluation située qui met en jeu les conflits et tensions résultantes pour cheminer vers un « bien-être ensemble » afin de rendre intelligible et habitable notre tragédie, celle d’être conscient d’exister et celle de sa finitude.

 

Fabrice Prévost, Psycho Pédagogue, spécialiste des dynamiques d'accompagnement